CONFORMITÉ RH

Télétravail : où en est-on un an après la crise Covid-19 ?

DeMarie-Clotilde Lefebvre
10 juin 2021

Il y a un an, nous avons publié un article relatif au télétravail en période d’épidémie de Covid-19. A cette époque le code du travail réglementait déjà certains aspects du télétravail (mise en place par accord ou par charte, égalité de droit entre télétravailleurs et salariés travaillant dans les locaux de l’entreprise…). En l’espace d’un an, un nouvel accord national interprofessionnel (ANI) relatif au télétravail a été signé, des tribunaux judiciaires ont débattu sur le droit des télétravailleurs à recevoir des titres restaurant, la réglementation sur les frais professionnels a évolué et une proposition de loi prévoit la possibilité pour une femme enceinte de télétravailler avant son départ en congé maternité. De son côté, le protocole pour assurer la santé et la sécurité des salariés en entreprise, applicable à partir du 9 juin 2021,  marque une nouvelle étape dans la gestion du télétravail par les entreprises.

ANI du 26 novembre 2020 sur le télétravail – Quels changements pour les entreprises ?

L’accord national interprofessionnel (ANI) pour une mise en œuvre réussie du télétravail est le fruit de plusieurs réunions organisées entre les partenaires sociaux. Il ne crée aucune nouvelle obligation à la charge des entreprises et se contente de rappeler le droit applicable en la matière et d’apporter plusieurs solutions opérationnelles. Il s’articule autour de trois thématiques :

Les prérogatives de l’employeur

  • Il doit identifier les activités éligibles au télétravail.
  • La mise en place du télétravail repose sur le volontariat de l’employeur et du salarié.
  • Son refus d’accorder du télétravail doit être motivé, si le télétravail a été institué par un accord collectif ou une charte et que le salarié y est éligible. Dans les autres cas, l’employeur est invité à préciser les raisons de son refus.

Le recours au dialogue social

Le dialogue social doit permettre de définir les points suivants :

  • Les critères d’éligibilité des activités « télétravaillables ».
  • Le périmètre du télétravail.
  • Ses conditions de mise en œuvre.
  • Les modalités de prise en charge des frais professionnels.

Organisation du télétravail

  • Les plages horaires où l’employeur peut contacter le salarié sont fixées par l’employeur en concertation avec le salarié.
  • Les outils numériques et équipements sont soit fournis par l’employeur, soit appartiennent personnellement au salarié.
  • L’entreprise doit prendre en charge les dépenses qui sont engagées par le salarié pour les besoins de son activité professionnelle et dans l’intérêt de l’entreprise, après validation de l’employeur.
  • Accidents de travail : le télétravail est soumis à la présomption d’imputabilité des accidents de travail.

L’ANI a été étendu par arrêté ministériel. Cela signifie qu’il devient applicable à tous les employeurs relevant d’un secteur professionnel représenté par les organisations patronales signataires (MEDEF, CPME et U2P). L’arrêté d’extension contient une réserve d’interprétation concernant l’article relatif aux frais professionnels. Il s’agit de la partie mentionnant que la prise en charge des frais professionnels par l’entreprise s’effectue « après validation de l’employeur ». Le ministère du Travail précise que la validation de l’employeur doit être interprétée « comme étant préalable, et non postérieure, à l’engagement des dépenses par le salarié ».

Titres restaurant – Les télétravailleurs y ont-ils droit ?

Cette question a fait couler beaucoup d’encre au mois de mars 2021. En effet, les tribunaux judiciaires de Nanterre et Paris ont chacun rendu des jugements opposés sur cette question.

Pour le tribunal judiciaire de Nanterre les titres restaurant permettent aux salariés sur site de « faire face au surcoût lié à la restauration hors de leur domicile ». Celui-ci constate que les télétravailleurs sont présents à leur domicile et en conclu que ce surcoût est inexistant. Les salariés travaillant sur site et ceux en télétravail se trouvant donc dans des situations différentes, le tribunal valide la décision de l’employeur de ne pas attribuer de titres restaurant aux télétravailleurs.

Pour le tribunal de Paris, dès lors que l’employeur ne peut pas justifier que les télétravailleurs se trouvent dans une situation distincte des salariés travaillant sur site, le refus de leur attribuer des titres restaurant ne repose sur aucune raison objective en rapport avec l’objet des titres restaurant. L’employeur est donc condamné sous astreinte à accorder des titres restaurant à ses salariés en télétravail. Contrairement au tribunal de Nanterre, celui de Paris estime que :

  • La définition du télétravail n’implique pas que le salarié doit se trouver à son domicile, ni qu’il doit disposer d’un espace personnel pour préparer son repas.
  • L’objet du titre restaurant tel que prévu par les textes est de permettre au salarié de se restaurer lorsqu’il accomplit son horaire de travail journalier comprenant un repas, mais cela n’est pas conditionné par le fait qu’il doit disposer ou non d’un espace personnel pour préparer ce repas.
  • Les dispositions relatives aux titres-restaurant n’autorisent pas l’employeur, une fois qu’il a fait le choix d’en distribuer à ses salariés, à déterminer librement parmi les salariés lesquels peuvent bénéficier ou non d’un titre-restaurant.

De son côté, le ministère du travail a modifié sa position sur cette question entre octobre et novembre 2020. En octobre 2020, il indiquait que les télétravailleurs avaient droit aux titres restaurant « mais pas forcément aux mêmes conditions que les salariés travaillant sur site ». Finalement, depuis novembre 2020, le ministère du travail se contente de reprendre les dispositions légales en la matière :

  • Si les autres salariés exerçant leur activité dans l’entreprise en bénéficient, les télétravailleurs doivent aussi en recevoir, si leurs conditions de travail sont équivalentes.
  • L’attribution se fait sous condition que le repas du salarié soit compris dans son horaire de travail journalier.

L’accord national interprofessionnel (ANI) du 26 novembre 2020 « pour une mise en œuvre réussie du télétravail » n’apporte malheureusement aucune réponse à cette question.

De son côté, le Bulletin officiel de la sécurité sociale (BOSS) rappelle que lorsque l’employeur accorde des titres restaurant aux salariés sur site ainsi qu’à ceux en télétravail, ces titres restaurant bénéficient des mêmes exonérations, sous les mêmes conditions.

Face à ces multiples argumentaires, on peut donc se demander ce qu’il convient de faire. Il ne faut pas oublier que le code du travail prévoit que « le télétravailleur a les mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l’entreprise ». Même si cette expression ne vise pas spécifiquement l’attribution des titres restaurant, elle permet de mettre en avant le principe d’égalité de traitement entre les salariés. A partir du moment où les conditions de travail des télétravailleurs sont équivalentes à celles des salariés travaillant dans les locaux de l’entreprise, l’employeur qui décide de distribuer des titres restaurant doit en accorder à l’ensemble de ses salariés (télétravailleurs ou non) sous réserve que le repas des salariés soit compris dans leur horaire de travail journalier.

Remboursement de frais professionnels – Quel montant ?

Lorsque le salarié télétravaille, il engage différents types de frais (achat d’un bureau, fauteuil, imprimante, chauffage, électricité…). Avant décembre 2019, ces frais ne pouvaient être remboursés qu’au réel sur la base de justificatifs.

En décembre 2019, l’URSSAF permet d’alterner le remboursement des frais professionnels liés au télétravail au réel avec un remboursement sur la base d’allocations forfaitaires. Ces allocations sont exonérées de cotisations sans justificatif à hauteur de 10€ par mois pour une journée de télétravail par semaine. Cette limite augmente en fonction du nombre de jours télétravaillés : 20 € par mois pour 2 jours de télétravail par semaine etc… ce montant monte jusqu’à 50€ par mois pour 5 jours de télétravail par semaine.

En avril 2021, le BOSS reprend cette tolérance et la complète en prévoyant la possibilité de fixer une allocation forfaitaire journalière. Celle-ci est exonérée de cotisations et contributions sociales dès lors que son montant journalier n’excède pas 2,50 euros, dans la limite de 55 euros par mois.

Au niveau fiscal, ces allocations forfaitaires sont exonérées d’impôt sur le revenu dans la limite de 2,50 euros par jour de télétravail à domicile et de 550 euros par an.

Les salariées enceintes auront-elles le droit de télétravailler ?

Un amendement à la proposition de loi visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle prévoit qu’une salariée enceinte pourra télétravailler dans les 12 semaines précédant son congé maternité « sous réserve que ses missions puissent être exécutées hors des locaux de l’employeur ». Cette possibilité s’appliquera dans toutes les entreprises, quelle que soit leur taille.

Plusieurs points nécessitent des précisions :

  • S’agit-il d’un droit à télétravailler ou d’une possibilité de télétravailler ?  Pour l’auteur de cet amendement, il s’agit d’une possibilité de télétravailler et non d’un droit, l’employeur pourra refuser une demande de télétravail si les fonctions occupées par la salariée sont incompatibles avec le télétravail. A l’inverse, pour le rapporteur de la loi, le télétravail sera de droit puisqu’il pourra être mis en œuvre à la demande de la salariée. Affaire à suivre…
  • Combien de jours par semaine/mois la salariée pourra télétravailler ?

Il s’agit pour l’instant d’une proposition de loi qui peut être amenée à évoluer au fil des débats parlementaires.

Protocole sanitaire applicable à partir du 9 juin 2021 – Combien de jours pourront être télétravaillés ?

Le ministère du travail a mis à jour le protocole sanitaire en vue d’accompagner les entreprises lors de la nouvelle phase du processus de déconfinement  à partir du 9 juin 2021.

Le protocole prévoit que le télétravail n’est plus la règle pour l’ensemble des activités qui le permettent. Les employeurs peuvent fixer, « dans le cadre du dialogue social de proximité, un nombre minimal de jours de télétravail par semaine, pour les activités qui le permettent ».

Le protocole laisse donc aux entreprises le soin d’organiser le retour de leurs salariés dans leurs locaux. Cela ne signifie pas pour autant qu’une entreprise peut faire revenir ses salariés à 100% dans ses locaux dès le 9 juin. En effet, comme l’indique le protocole, les données sanitaires, permettent de franchir de nouvelles étapes dans la reprise des activités, mais cela ne signifie pas que le virus ne circule plus.  Le télétravail participe à la démarche de prévention du risque d’infection au covid-19, il ne faut donc pas passer d’une période 100% télétravail à un retour à 100% en présentiel, mais plutôt trouver un juste équilibre. Il faut garder à l’esprit que rien n’empêche un employeur qui le souhaite de maintenir le télétravail à 100 %. Le protocole précise cependant que les employeurs doivent veiller « au maintien des liens au sein du collectif de travail et à la prévention des risques liés à l’isolement des salariés en télétravail ».

Pour aider les entreprises, l’Anact a rédigé un guide intitulé « comment accompagner le retour en entreprise des télétravailleurs ? ». Le guide est divisé en 3 étapes :

Etape 1 : Préparer le retour sur site

Pour cela il conseille notamment de :

  • Mettre en place une « cellule de reprise » chargée d’élaborer un plan de reprise de l’activité (PRA) le cas échéant.
  • Définir, par phase, des points d’équilibre concernant le nombre de jours en télétravail et sur site que les managers adapteront avec leur équipe. Par exemple 2 jours dans les locaux et 3 jours en télétravail jusqu’à fin septembre, puis si la situation sanitaire le permet, passer à 3 jours dans les locaux et 2 jours en télétravail jusqu’à la fin de l’année…
  • Adapter l’organisation du travail et les mesures de prévention (collectives et individuelles) dans les locaux : heures d’arrivée, de sortie et de pause, distanciation, jauge, équipement de protection…
  • Prendre le temps d’informer les salariés des nouvelles mesures : réunion collective dans le respect des gestes barrières, temps d’échange avec chaque salarié concerné par le retour sur site…
  • S’appuyer sur l’expérience des personnes qui ont poursuivi l’activité dans les locaux pendant la période épidémique.

Etape 2 : Préserver la qualité des relations de travail

L’objectif est de prévenir les tensions liées au retour sur site et retrouver la cohésion d’équipe :

  • Maintenir des temps d’échanges réguliers avec les salariés à distance et sur site.
  • Faciliter l’expression de chacun sur son travail, les éventuelles difficultés rencontrées et les propositions d’amélioration.
  • Partager les mesures favorisant la déconnexion et l’articulation des temps privés et professionnels.
  • Favoriser les coopérations entre salariés à distance et sur site : échanges de pratiques, binômage, tutorat, projets en commun…

Etape 3 : Ajuster l’organisation et préparer demain

L’objectif est de favoriser la diffusion de « bonnes pratiques » mais aussi de tester de nouvelles façons de travailler.

Enfin, concernant les personnes susceptibles de contracter une forme grave du Covid-19, le protocole précise toujours que le télétravail doit rester la règle et à défaut de possibilité de télétravail, l’employeur doit mettre en place des mesures de protection renforcées du travail présentiel. En l’absence de ces mesures, l’employeur restera tenu de les placer en activité partielle, sur la base d’un certificat médical.

En conclusion

En un an, la réglementation relative au télétravail a peu évolué. Cette organisation du travail présente des avantages (réduction de la fatigue liée aux trajets en transports en communs, plus grande souplesse dans les horaires de travail…), mais aussi des inconvénients qui n’ont pas toujours de solutions « juridiques » (absence de pièce dédiée au télétravail dans le logement du salarié, absence de fournitures de bureaux, isolement du salarié…). Cela ne doit pas empêcher les entreprises de « sauter le pas » et de maintenir une part de télétravail dans leur organisation future : l’expérience vécue pendant l’épidémie permet de recenser ce qui a marché et ce qui reste à améliorer, pour faire du télétravail un outil de gestion tant des salariés que de l’activité de l’entreprise.  

Marie-Clotilde Lefebvre
Veille légale – Juriste en droit social chez Sopra HR
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