CONFORMITÉ RH

L’égalité professionnelle femmes hommes : où en est-on à fin 2021 ?

DeVéronique Tixier
7 décembre 2021

Nous avions consacré en avril 2019 un article à l’analyse de l’accord sur l’égalité entre les femmes et les hommes dans la fonction publique, conclu le 30 novembre 2018 et approuvé par 7 des 9 organisations syndicales. Depuis, la loi de transformation de la fonction publique est venue donner corps à certaines des propositions de l’accord, et le texte a commencé à être traduit en actes – un peu plus lentement que prévu, cependant, crise sanitaire oblige. Dans le même temps, le secteur privé a connu la mise en œuvre de l’index d’égalité femmes-hommes et le déploiement des référents dans la lutte contre le harcèlement sexuel, en application de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel du 5 septembre 2018 et du décret du 8 janvier 2019. Trois ans après l’accord de novembre 2018, où en est-on des politiques d’égalité professionnelle dans les fonctions publiques ?

 

Rappelons rapidement la chronologie :

Public Privé
Mars 2013, protocole d’accord relatif à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes signé entre les partenaires sociaux et la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP).
 
 
 4 août 2014 : loi sur l’égalité réelle entre les femmes et les hommes
20 avril 2016 : loi « déontologie »  
Septembre 2017 : Ordonnances Pénicaud (pénalité en cas d’absence d’accord sur l’égalité femmes-hommes)
5 septembre 2018 : loi « Avenir professionnel » suivi du décret du 8 janvier 2019 (index de l’égalité femmes-hommes)
30 novembre 2018 : accord sur l’égalité entre les femmes et les hommes dans la fonction publique.
6 août 2019 : loi de transformation de la fonction publique.

 

Nous aborderons les différents points de l’accord de novembre 2018 pour suivre leur mise en œuvre sur le terrain. La loi de transformation de la fonction publique a traduit juridiquement l’essentiel des mesures préconisées, qui ont fait à leur tour l’objet de décrets.

 

 

Les mesures concernant la gouvernance

Le premier axe de l’accord du 30 novembre 2018 visait à « Renforcer la gouvernance des politiques d’égalité professionnelle. » Il comporte plusieurs propositions :

  • Le plan d’action obligatoire ;
  • L’amélioration de la connaissance statistique des discriminations ;
  • Le déploiement de référents Égalité ;

     

    Le plan d’action obligatoire

    Inspiré des obligations du privé, le plan d’action obligatoire demandé par l’accord du 30 novembre 2018 a été transcrit dans la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019. Un décret d’application a été pris le 4 mai 2020.

    Les différents départements ministériels, les juridictions, les établissements publics administratifs et les collectivités territoriales (ou EPCI) d’au moins 20 000 habitants devaient donc élaborer un plan d’action « égalité professionnelle » sur trois ans maximum avant le 31 décembre 2020. Les plans devaient être remis à l’autorité correspondante (ministères dans la FPE, préfets dans la FPT, directeurs généraux d’ARS dans la FPH) avant le 1er mars 2021. Ils contiennent des actions dans 4 domaines :

  • la réduction des écarts de rémunération (à partir des données du rapport social unique ou du bilan social) ;
  • l’égal accès aux emplois ;
  • la conciliation vie privée / vie professionnelle ;
  • la prévention du harcèlement, des violences et des discriminations.

    La non-transmission du plan d’actions entraîne, après un délai de 2 mois supplémentaires, une mise en demeure de fournir ce plan sous 5 mois. Une sanction de 1% des rémunérations totales des effectifs de l’employeur public est alors prononcée, ramenée à 0,5 % si des éléments « attestant l'engagement effectif de l'élaboration ou du renouvellement du plan d'actions » sont produits.

    Rappelons que dans le privé, les entreprises dotées d’au moins une section syndicale doivent engager une négociation sur l’égalité femmes-hommes au moins une fois tous les 4 ans. En l’absence d’accord, l’employeur met en place un plan d’actions annuel. Les entreprises d’au moins 50 salariés doivent également produire un index d’égalité femmes-hommes fondé sur 4 ou 5 indicateurs. L’absence de négociation, de plan ou de publication de l’index peut être sanctionnée à hauteur de 1% de la masse salariale,  ainsi que l’absence de correction des inégalités constatées.

    Il y a donc deux différences importantes dans le public :

  • le plan d’actions est triennal et non annuel ;
  • la sanction ne vise que l’obligation de moyens (la communication du plan d’actions) et non de résultat (la résorption des écarts de rémunération). La loi visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle actuellement en débat au Parlement pourrait modifier ce point, mais ce n’est pas certain.

    Une troisième différence s’est significativement réduite avec l’ordonnance du 17 février 2021 sur la négociation sociale dans le secteur public. Jusqu’à présent, en effet,  chaque plan d’actions n’était pas tenu de faire l’objet d’une négociation avec les partenaires sociaux. Aux termes de l’ordonnance, l’autorité compétente doit désormais proposer aux syndicats, au plus tard 6 mois avant l’expiration du plan d’actions, une négociation sur l’élaboration du plan suivant. Si un accord est conclu, il constitue le plan. C’est une transformation importante, qui rapproche considérablement le public et le privé en matière de négociation sociale et de lutte contre les inégalités entre femmes et hommes.

    Enfin, aux termes de la loi, les trois fonctions publiques feront l’objet d’un bilan du nombre de plans d’actions déposés et des manquements à la loi. Pour réaliser ces bilans consolidés, les ministères, les préfets et les directeurs généraux d’ARS devront remettre les données concernant leur juridiction avant le 31 décembre. Le ministère de la fonction publique centralisera ensuite l’ensemble des bilans et les communiquera au Conseil commun de la fonction publique, mais aucun délai n’est précisé. Les résultats de cette mesure ne seront donc connus au mieux que courant 2022.

     

    L’amélioration de la connaissance statistique des inégalités

    L’accord de novembre 2018 constatait que le dispositif statistique de suivi des inégalités entre les femmes et les hommes s’était bien développé après la loi Sauvadet de 2012, grâce notamment à la création du rapport annuel de situation comparée entre les hommes et les femmes et à l’exploitation des données dans le rapport annuel de situation à l’échelle de la fonction publique. Il appelait à compléter le dispositif en systématisant dans les trois fonctions publiques la compilation des données pertinentes en matière d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

    La loi de transformation de la fonction publique a traduit cette proposition en actes en créant le Rapport social unique, qui intègre le rapport annuel de situation comparée entre les hommes et les femmes. Celui-ci doit notamment intégrer des « indicateurs synthétiques relatifs aux écarts de rémunération entre les femmes et les hommes » (voir plus bas). La compilation de ces indicateurs devrait donner une visibilité accrue sur la situation professionnelle des femmes et des hommes dans la fonction publique.

    Le Haut Conseil à l’Égalité, dans son rapport de février 2021 sur la parité dans la fonction publique, regrette cependant que les données concernant l’égalité femmes-hommes, la mise en œuvre effective des mesures et les sanctions délivrées soient insuffisamment et trop tardivement consolidées. Il souhaite que de vrais moyens humains et techniques soient réunis pour effectuer un vrai suivi de la question en temps réel.

     

    Le déploiement des référents Égalité

    L’accord du 30 novembre prévoyait également l’institution de référents égalité au sein des organisations publiques. L’idée était que chaque employeur public puisse avoir un ou plusieurs référents, et que plusieurs employeurs publics puissent en mutualiser un. Ces référents ont « un rôle essentiel d’information, de conseil, d’alerte tant auprès des agents que de leur administration, sur toutes les questions relatives à l’égalité professionnelle. » Ils bénéficient d’une formation, valorisée dans le cadre de leur parcours professionnel.

    L’entrée en vigueur de cette proposition n’était pas soumise à intégration dans la loi : il était prévu que chacune des trois fonctions publiques déploie ces référents par circulaire.

  • Pour la fonction publique d’État, une circulaire est parue un an jour pour jour après l’accord, le 30 novembre 2019. Le déploiement devait être effectif au 1er mars 2020.
  • La fonction publique hospitalière a émis une instruction le 5 août 2021, rendue publique le 29 octobre 2021 dans le Bulletin officiel Santé, Protection sociale, Solidarité. Le déploiement doit avoir lieu d’ici au 1er janvier 2022.
  • La fonction publique territoriale ne semble pas avoir systématisé la démarche à ce jour.

 

L’égalité d’accès aux métiers et aux responsabilités

L’accord national prévoyait une série de mesures pour garantir un égal accès des femmes et des hommes aux métiers et aux responsabilités, en particulier dans l’encadrement supérieur. En effet, la fonction publique emploie 62 % de femmes ; l’enjeu n’est donc pas la féminisation des effectifs, mais la juste répartition des femmes par niveau.

La loi de transformation a suivi les préconisations du rapport sur plusieurs points, en particulier l’élargissement du nombre d’organismes concernés, dans la FPT, par l’obligation de faire figurer, chaque année, au moins 40 % de femmes  parmi les nominations à des postes d’encadrement supérieur. Les collectivités d’au moins 40 000 habitants ont désormais cette obligation, contre celles de 80 000 habitants et plus auparavant. 13 types d’emplois sont concernés, 10 dans la FPE, 2 dans la FPH, 1 dans la FPT. La loi a également intégré au tableau d’avancement, dans la FPE, « la part respective des femmes et des hommes dans le vivier des agents promouvables », comme demandé par l’accord.

Le Haut Conseil à l’Égalité, dans le même rapport de février 2021, estime que le dispositif de nominations équilibrées devrait être étendu aux emplois supérieurs qui ne sont pas encore concernés, notamment aux collectivités territoriales d’au moins 20 000 habitants, aux juridictions judiciaires, administratives et financières, aux assemblées parlementaires et à l’ensemble des établissements publics. Le rapport suggère aussi de passer de 40 % à 45 % d’ici 3 ans, et d’exiger le passage à 40 % des postes d’encadrement supérieur en stock, et non plus en flux, d’ici à 5 ans.

La part des femmes dans les primo-nominations est passée de 32 % en 2013 à 37 % en 2018, puis à 43 % en 2020. L’effet des mesures se fait donc sentir. De fait, les sanctions sont assez dissuasives : 90 000 € par profil manquant, ou 50 000 € dans les collectivités de 40 000 à 80 000 habitants.

 

La suppression des écarts de rémunération

Sur ce point, l’accord du 30 novembre 2018 proposait de « déployer une méthodologie commune d’identification des écarts de rémunération » dans les trois fonctions publiques. La loi de transformation de la fonction publique a répondu en intégrant la nécessité d’« évaluer, prévenir et, le cas échéant, traiter les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes » dans les plans d’actions obligatoires, et en décidant de la création d’ « indicateurs synthétiques relatifs aux écarts de rémunération entre les femmes et les hommes » dans le Rapport Social Unique.

L’arrêté du 7 mai 2021 précisant les indicateurs à intégrer dans la base de données sociales pour les employeurs de la fonction publique d’État donne sans doute ce qui tiendra lieu de référence en la matière. Le texte renvoie à l’outil développé par la DGAFP pour analyser les écarts de rémunération entre femmes et hommes. L’arrêté mentionne également « l'écart global de rémunération entre les femmes et les hommes en euro par mois, ainsi qu'en pourcentage de cet écart global en équivalent temps plein » et « l'écart de rémunération mensuelle entre les femmes et les hommes liés au seul effet de la différence de recours au temps partiel, c'est-à-dire l'écart entre la rémunération brute et la rémunération en équivalent temps plein ».

Selon le rapport du Haut Conseil à l’Égalité sur la parité dans la fonction publique, « les écarts salariaux entre femmes et hommes semblent globalement moins élevés que dans le secteur privé et relèvent, pour partie, de déséquilibres de mixité dans la composition des corps ». Le HCE n’en recommande pas moins d’étendre à la Fonction publique l’obligation de publier un index d’égalité, adapté de l’index utilisé dans le privé.

 

Les mesures de conciliation vie personnelle / vie professionnelle

Comme prévu, les mesures réclamées par l’accord du 30 novembre 2018 en matière de prise en compte des droits des femmes enceintes et des parents en congé parental ont été mises en œuvre par la loi de transformation de la fonction publique et par un décret du 5 mai 2020. Le jour de carence en cas d’arrêt maladie a été supprimé pour les femmes enceintes ayant déclaré leur grossesse, et les périodes de congé parental donnent désormais droit à maintien des droits à l’avancement et à la retraite pendant 5 ans pour les périodes où l’enfant a moins de 12 ans, au lieu d’un an pour un enfant de moins de 8 ans.

Un décret du 22 avril 2020 a par ailleurs traduit dans les faits la proposition d’une annualisation possible du temps partiel jusqu’aux 3 ans de l’enfant dans les 3 fonctions publiques. L’idée est de réorganiser le temps de travail sur l’année pour pouvoir prendre jusqu’à deux mois en début de période et de rattraper le temps de congé en travaillant davantage que le temps partiel sur le reste de l’année. Le congé parental, en outre, peut désormais durer 2 mois au minimum, contre 6 mois auparavant.

Il ne semble pas, en revanche, qu’il ait été donné suite à la proposition d’étendre par circulaire au conjoint ou au partenaire le droit de s’absenter pour certains actes médicaux liés à la grossesse, comme c’est déjà le cas dans le privé.

En ce qui concerne le télétravail, conçu comme outil de conciliation entre vie professionnelle et personnelle, les circonstances ont bien sûr considérablement changé depuis l’accord et la loi de transformation. La crise et le confinement ont profondément modifié le rapport au télétravail, et un accord a été signé le 13 juillet 2021 pour en tirer les conséquences dans les trois fonctions publiques. Les modalités de recours ont été simplifiées, et une femme enceinte peut désormais télétravailler au-delà des 3 jours maximums autorisés en règle générale, sans avoir besoin de l’avis du médecin du travail. C’est au-delà des propositions de l’accord.

 

La prévention du harcèlement, des violences et du sexisme

Le dernier axe de l’accord du 30 novembre 2018 portait sur la nécessité de « Renforcer la prévention et la lutte contre les violences sexuelles, le harcèlement et les agissements sexistes ». Il recommandait notamment de mettre en place dans chaque organisme public un dispositif de signalement, de traitement et de suivi des violences sexuelles et sexistes.

Un décret du 13 mars 2020 a fixé les conditions de mise en place de ces dispositifs. Ceux-ci doivent comporter trois procédures au minimum : une pour le recueil des signalements des victimes ou des témoins, une pour l’orientation des agents victimes vers un accompagnement, une pour l’accompagnement des victimes ou témoins dans les démarches à entreprendre.

La date butoir pour la mise en place de ces dispositifs était fixée au 1er mai 2020. Les circonstances ont probablement souvent différé leur élaboration. La récente Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes a été l’occasion d’inventorier les initiatives prises dans les fonctions publiques.

 

La loi visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle, actuellement en débat au Parlement, ne semble pas devoir apporter de nouveautés radicales sur le versant « fonction publique » même si plusieurs amendements ont pu être proposés pour harmoniser encore davantage public et privé. Pour l’heure, les dispositions issues de la loi du 6 août 2019 doivent encore être évaluées avant d’envisager d’aller plus loin. Un peu de répit pour les services des ressources humaines des employeurs publics !

Véronique Tixier
Responsable Veille Légale Secteur Public chez Sopra HR Software
DÉCOUVREZ NOS SOLUTIONS

Entrez dans la RH du futur