TENDANCES RH
Conditions de travail et QVT dans le public : point d’étape

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Voici un an et demi, nous évoquions le cheminement RH et juridique de la fonction publique sur le sujet de la qualité de vie et des conditions de travail, depuis le protocole d’accord sur les risques psychosociaux du 22 octobre 2013 jusqu’à l’application de la loi de transformation de la fonction publique. L’après-Covid a vu le lancement ou la redynamisation de plusieurs chantiers contribuant à la QVT : le télétravail, le dialogue social, la protection sociale, la formation, la santé au travail… La dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024 a interrompu plusieurs processus en cours, dont l’examen du projet de loi sur l’attractivité de la fonction publique, où les questions de QVT auraient été immanquablement abordées. Qu’en est-il au 2e trimestre 2025 ?
La notion de la qualité de vie et des conditions de travail (QVCT) dans la fonction publique
Rappelons les grandes étapes de l’émergence de la notion de qualité de vie au travail dans la fonction publique :
- Le Protocole d’accord relatif à la prévention des risques psychosociaux du 22 octobre 2013, intervenant quelques mois après l’accord national interprofessionnel du 19 juin 2013 sur l’amélioration de la qualité de vie au travail, a introduit cette dernière notion dans la sphère publique.
- Le 12 janvier 2015, un projet d’accord-cadre sur la QVT dans la fonction publique était élaboré, en vue d’une adoption par les partenaires sociaux. Le texte n’est finalement pas signé, mais pose les bases du débat.
- En l’absence de texte signé par les partenaires sociaux, la DGAFP signe avec l’Anact, le 6 juillet 2016, une convention-cadre de partenariat sur la qualité de vie au travail, puis se réorganise pour traiter le sujet. Elle publie en 2019 un Guide de la qualité de vie au travail.
- La loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019 introduit finalement la notion de QVT dans le statut de la fonction publique, codifié dans le code général de la Fonction publique depuis 2022.
La loi de transformation ouvrait des possibilités en matière de négociation sociale qui auraient pu porter sur des sujets de QVT. En pratique, seuls deux domaines ont fait l’objet d’accords nationaux sur tout ou partie des 3 versants : le télétravail (3 avril 2022) et la protection sociale complémentaire (mutuelle santé et prévoyance). Les deux sont en lien avec la qualité de vie au travail.
Au-delà de ces deux domaines, cependant, la négociation collective dans la fonction publique est très mal connue. Le rapport sur l’état de la fonction publique de 2022 parle de 200 accords collectifs signés à cette date entre des employeurs publics et leurs partenaires sociaux, sans rien préciser de plus. Les rapports 2023 et 2024 n’évoquent pas le point et ne donnent pas l’évolution du chiffre. Le rapport de la Cour des comptes sorti en octobre 2024 et relatif au dialogue social dans la fonction publique se contente de répéter ce même chiffre.
En juin 2023, enfin, dans le cadre du Plan Santé au travail, la DGAFP diffusait deux documents relatifs à la qualité de vie et aux conditions de travail : un référentiel pour élaborer des chartes de la QVCT (pour inspirer les politiques RH « verticales ») et un référentiel pour conduire des négociations d’accords sur la QVCT (pour encadrer le dialogue social sur le sujet). Le terme « QVCT », à défaut d’être intégré dans la loi comme il l’est pour le privé, apparait désormais dans les publications officielles.
Parallèlement, une grande consultation (le programme Fonction Publique +) était lancée dans les 3 versants, en amont d’une proposition de loi dont les grandes lignes avaient été présentées par le gouvernement au printemps 2024. Mais la dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024, la situation bloquée issue des élections de juillet ont conduit à différer à la fois la loi et, la publication des résultats définitifs de la consultation.
La grande consultation des 3 versants : des résultats toujours provisoires
L’enquête nationale, qui avait réuni à la fin de l’automne 2023 environ 110 000 réponses, n’aura donc pas abouti à un document définitif. Les seuls résultats connus sont donc ceux, provisoires, qui ont été présentés dès le 14 novembre 2023 par le ministre d’alors, Stanislas Guerini.
A ce jour, c’est la dernière enquête disponible portant sur l’ensemble de la fonction publique, tous versants confondus. Le rapport annuel 2024 de la DGAFP comporte cependant quelques informations sur les conditions de travail en 2023 dans l’ensemble du secteur ; mais il s’agit de données descriptives, et non du ressenti et des attentes des agents en matière de travail.
La consultation FP+ comportait un questionnaire à choix multiples qui a recueilli 110 000 réponses, un ensemble de questions ouvertes qui a obtenu 263 000 contributions, et une boîte à idées où plus de 10 000 agents ont posté des propositions. Soit au total 383 000 contributions.
Les thèmes abordés sont riches et nombreux. Signalons les principaux indicateurs RH et managériaux.
En matière de marque employeur, les résultats sont instructifs :
- Attractivité : le désir de servir l’intérêt général est la motivation la plus souvent citée en 1er par l’ensemble des agents. C’est particulièrement le cas dans la FPE et la FPT ; dans la FPH, le service des usagers et l’intérêt du métier lui-même tendent à prédominer. Les fonctionnaires de catégorie A sont les plus motivés par l’intérêt général – mais aussi par les perspectives de carrière pour les A+. Les agents de catégories B et C sont le plus souvent mobilisés par la sécurité de l’emploi. Ces distinctions montrent que les leviers d’engagement et d’attractivité changent suivant les métiers et les contextes : les stratégies RH doivent s’adapter.
- Fidélisation : on retrouve pour l’essentiel les mêmes ressorts, avec quelques spécificités. Les fonctionnaires d’Etat travaillant en administration centrale valorisent plus souvent l’ambiance et le collectif de travail ; les fonctionnaires territoriaux travaillant dans une région citent davantage les conditions de travail comme raison de rester dans la fonction publique.
- Recommandation : le questionnaire demande aux agents de noter sur 10 leur propension à recommander à un proche de travailler dans la fonction publique d’une part, de travailler au même poste qu’eux d’autre part (le 1 signifiant « non pas du tout », le 10 « oui absolument »). Sur les deux questions, la note moyenne comme la note médiane avoisinent 5. Seuls 18% des répondants recommanderaient « presque entièrement » ou « absolument » la fonction publique comme employeur (notes 8-10) ; 41 % la recommanderaient peu ou pas du tout (1 à 4). La FPE a un peu plus de succès que la FPH et que la FPT ; les catégories A+ sont un peu plus populaires ; mais au total les différences sont très faibles. La nuance la plus nette est celle qui sépare titulaires et contractuels : de façon contre-intuitive, ces derniers sont davantage prêts à recommander la fonction publique que les premiers. Les jeunes, également, sont sensiblement plus enthousiastes que les seniors.
Globalement, l’image employeur de la fonction publique est donc fragile, et les leviers d’attractivité sont plutôt « passifs » : l’intérêt général et l’emploi protégé ne sont pas des éléments qui sont à la main des employeurs et des services RH.
Dès lors que l’on s’intéresse à la mise en œuvre de la promesse employeur, c’est-à-dire aux principales politiques RH et managériales de la fonction publique, les résultats se dégradent encore. L’enquête a demandé aux fonctionnaires de noter, là encore sur 10, l’effectivité de 6 des engagements de la fonction publique à l’égard des fonctionnaires, dits, « engagements FP+ ». La note moyenne d’effectivité sur les 6 engagements s’établit à 4. L’engagement « relation managériale » est le moins mal noté (4,9), ce qui est encourageant. Le cadre respectueux et l’environnement de travail obtiennent 4,6, devant l’exemplarité (4,1). Avec l’accompagnement RH, on tombe à 3,7. C’est l’attention au logement qui obtient la note la plus basse (2,2).
Parmi les politiques susceptibles d’améliorer la situation, 85% des fonctionnaires valorisent les enquêtes de climat social, les deux tiers n’en bénéficiant pas. 86% des encadrants estiment aussi que les formations au management sont utiles, mais 41% n’en ont pas reçu. La formation à l’évaluation professionnelle est plébiscitée par 60% des répondants (70% dans la FPT).
En matière d’attentes RH, les fonctionnaires identifient comme leviers :
- L’organisation du temps de travail (73%) ; seuls 19% déclarent que leur temps de travail a été aménagé.
- Le compte épargne temps (56%) ; 72% en ont un.
- Le télétravail : un quart des fonctionnaires n’est pas en situation de télétravailler (50% dans la FPH, 16% dans la FPE). Ils privilégient l’équipement logiciel et la prise en charge des coûts induits parmi les accompagnements attendus.
- L’espace de travail : les attentes sont très variées suivant les profils. La FPT et les administrations centrales mentionnent plus souvent le fait de bénéficier d’endroits pour s’isoler. La FPH attend davantage des espaces de repos et de convivialité.
- La gestion RH : près de 7 fonctionnaires sur 10 identifient des « irritants RH ». Plus la catégorie est élevée, plus c’est le cas.
- La mobilité : la moitié des répondants envisage une mobilité, 24% sont en attente d’accompagnement.
En résumé, les fonctionnaires ont de fortes attentes en matière d’amélioration des conditions de travail et de QVT. Ces attentes sont différenciées suivant les situations. Il y a donc une large marge d’action pour les professionnels des RH dans la fonction publique pour faire progresser la satisfaction au travail et l’engagement, à condition d’être attentif aux retours du terrain et de déployer des politiques adaptées.
Focus sur la fonction publique territoriale
Depuis fin 2023, aucune enquête globale n’a été conduite. Des études partielles en revanche ont bien vu le jour, notamment sur la fonction publique territoriale. C’est le cas de la 15e édition (2024) du baromètre du bien-être au travail dans les collectivités locales, établi par la Mutuelle nationale territoriale (MNT) et la Gazette des communes. Une enquête plus restreinte, sur un sujet proche, a été réalisée par Moodwork, IdealCO et la Mutuelle nationale des fonctionnaires des collectivités territoriales (MNFCT) : le baromètre « Bien-être et santé mentale des agents de la fonction publique territoriale », également paru en 2024.
Les résultats sont largement concordants avec ceux de la consultation FP+. On peut les résumer en trois grands points :
- Les fondamentaux de l’attractivité de la fonction publique se maintiennent : 83% des agents sont fiers d’exercer leur métier et 84% sont satisfaits d’exercer une mission de service public. Ils sont par ailleurs 80% à se sentir soutenus par leurs collègues : l’ambiance de travail est plutôt porteuse.
- De nombreux indicateurs s’améliorent sur le long terme : depuis 2014, la satisfaction relative au degré d’autonomie a gagné 16 points (à 83%) ; l’équilibre vie personnelle vie professionnelle, 6 points (à 74%) ; l’acquisition de nouvelles compétences a connu la plus forte progression, avec +25 points à 66% d’agents satisfaits. Le télétravail continue à être vécu comme une source d’amélioration du bien-être au travail par 84% des fonctionnaires interrogés.
- D’importants points noirs demeurent. La confiance dans les perspectives professionnelles générales s’est améliorée, mais reste minoritaire (40%). Seuls un quart des agents sont confiants dans leurs possibilités de progresser au sein de leur collectivité. Et 20% seulement sont optimistes quant à l’avenir du service public. Les trois quarts des répondants éprouvent du stress dans le cadre de leur pratique professionnelle. Par ailleurs, les deux tiers des participants au baromètre IdealCO/Moodwork estiment que la déconnexion est difficile, une fois sorti du travail.
La FPT conserve donc un fort capital d’attractivité lié à sa mission même, mais aussi à la solidarité entre collègues. Pour le reste, l’évolution semble paradoxale : les principaux indicateurs semblent s’améliorer, mais le pessimisme est de mise. Cela se confirme : la marge de manœuvre est importante pour les DRH.
Les leviers d’amélioration
Globalement, la réponse passe donc par une capacité à répondre aux attentes des agents, qui varient suivant les employeurs, les métiers, les catégories. Il n’y a pas de solution universelle. On peut cependant évoquer de grandes familles de leviers :
- La mesure des ressentis, d’abord, et la capacité à agir en réponse. Les enquêtes de climat social, les outils de feedback, mais aussi le dialogue social font partie des solutions mobilisables.
- La reconnaissance : c’est une forte attente des agents, et le cœur d’une politique RH d’engagement. La reconnaissance passe par la rémunération, les avantages, mais aussi par la qualité du feedback et les perspectives d’évolution professionnelle.
- La gestion des carrières : les possibilités d’évoluer au sein et en dehors de l’administration ou de la collectivité, la capacité à développer des compétences, le sentiment d’une employabilité renforcée contribuent à la satisfaction au travail.
- L’organisation du travail : le télétravail, même s’il a reculé par rapport à 2021-2022, reste un outil qui, bien aménagé, est porteur de satisfaction au travail. Mais ce n’est pas le seul : l’aménagement du temps de travail, des espaces de travail, l’amélioration de la relation managériale, la capacité même à agir sur son cadre de travail…
- Comprendre l’absentéisme : ce n’est pas un objectif de QVT en soi, mais c’est un moyen d’en comprendre les ressorts. Le rapport IGF/IGAS sorti à l’été 2024 sur le sujet a surtout heurté par ses propositions en matière d’accroissement de la carence et de baisse de l’indemnisation, mais il appelle aussi à améliorer la connaissance du phénomène et à agir sur les leviers d’engagement.
- Sécuriser l’avenir non-professionnel : l’offre de protection sociale complémentaire, et particulier le volet « prévoyance », est aussi un levier riche de possibilités pour améliorer le contexte de travail des agents. Les négociations et consultations que les employeurs publics, en particulier ceux de la FPT, vont être amenés à conduire dans les mois et années qui viennent, peuvent être l’occasion de conduire une réflexion approfondie sur ces sujets, et de trouver des solutions innovantes.
Pour le meilleur et pour le pire, la politique d’amélioration de la QVCT dans la fonction publique reste en partie tributaire du statut, du cadre légal et réglementaire et de la nature même de l’emploi public. Les évolutions récentes donnent aux DRH du public de nouveaux leviers et une liberté accrue, dont ils peuvent se saisir avantageusement. Réunir l’ensemble de ces fils en une stratégie RH cohérente et adaptée : c’est le défi qui s’offre aux services RH du public dans les années à venir. Un défi de mais de nature à accroître l’attractivité des métiers RH dans la fonction publique !
