CONFORMITÉ RH

La Qualité de Vie et des Conditions de Travail (QVCT) dans la fonction publique, levier de modernisation managériale

DeVéronique Tixier
27 novembre 2023

Même si la Qualité de vie au travail (QVT) recouvre des thématiques anciennes, la France a tardé à adhérer au concept. La QVT, en effet, n’est entrée dans le code du Travail qu’en 2016, et dans le statut des fonctionnaires qu’en 2021. Le sujet QVT (devenu QVCT : Qualité de Vie et des Conditions de Travail) est désormais à l’ordre du jour dans la Fonction publique, avec la publication cette année de guides méthodologiques à l’usage des administrations, et le lancement par le ministère de la transformation et de la fonction publiques d’une grande enquête au sein des trois versants. La QVT figure également comme l’un des piliers du Plan Santé au travail.

Au-delà des détails conceptuels, qu’apporte la QVT au management et aux ressources humaines dans la fonction publique ? Comment s’est-elle développée ? Quelles sont ses spécificités ? Que peut-on en attendre ? Quelques éléments de réflexion et pistes de réponses.

 

QVT : une irruption récente dans le cadre légal en France

 

La notion de qualité de vie au travail, dans sa genèse, semble inséparable du contexte de l’entreprise et du secteur concurrentiel. La « Quality of working life » telle qu’elle se conceptualise aux Etats-Unis dans les années 1960-1970, intervient dans le cadre d’une réflexion sur les conditions de production. Le mouvement se développe sur fond de critique du taylorisme et de tertiarisation de l’économie.

 

Aux Etats-Unis, il s’agit de réconcilier l’impératif de productivité avec le bien-être psychologique des salariés – voire, de montrer que les deux objectifs sont concordants. Dans le monde scandinave, le concept de QVT se développe davantage dans une optique collective, mettant l’accent sur l’écoute des salariés et leur participation aux décisions les concernant.

 

En France, cependant, si l’on se préoccupe bel et bien des conditions de travail (notamment depuis la création de l’Agence Nationale pour l'Amélioration des Conditions de Travail (Anact) en 1973), la notion de Qualité de vie au travail ne se développe qu’à partir des années 2000 dans le discours RH et managérial, et dans certains accords d’entreprise. Il faudra cependant attendre les années 2010 pour que la QVT fasse son entrée dans la norme, en trois étapes :

 

La notion de QVT est donc entrée dans le cadre juridique des RH de la fonction publique presque en même temps que dans le privé - c’est-à-dire tout récemment. Dans les deux cas, la notion intervient dans le cadre du dialogue social : obligation de négocier dans le code du Travail, possibilité de négocier dans celui de la fonction publique.

 

 

Du « top down » au dialogue social

 

Il est significatif que la démarche QVT dans le public n’ait pas pu être portée initialement par le dialogue social, faute d’accord avec les partenaires sociaux autour du texte de 2015. C’est la DGAFP qui a d’abord mené la danse, avec la publication du « Guide de la qualité de vie au travail » en 2019, fruit du partenariat avec l’Anact. Dans le privé, les représentants des salariés étaient à la manœuvre ; dans le public, la démarche a été presque imposée d’en haut.

 

La qualité de vie au travail : quel sens dans la fonction publique ?

L’une des explications possibles est à chercher dans le contexte particulier de la fonction publique, avec une organisation historiquement dominée par un management vertical légitimé par l’impératif de servir l’intérêt commun.

 

Pour les partenaires sociaux du secteur privé, dans l’ANI de 2013, la QVT vise à « concilier les modalités de l’amélioration des conditions de travail et de vie pour les salariés et la performance collective de l’entreprise ». En somme, articuler bonnes conditions de vie et productivité.

 

Le projet d’accord de 2015 dans la fonction publique fixait, lui, à la QVT l’objectif « de concilier la qualité des conditions de vie et de travail des agents et la qualité du service public ». Il s’agit donc simplement d’une adaptation au public de la notion commune : la finalité du service public – la qualité du service aux administrés – remplace la finalité de l’entreprise privée – la performance collective au service des clients.

 

Cette définition se retrouve dans tous les textes relatifs à la QVT dans la fonction publique rédigés par la suite. Ce n’est pas anodin : l’un des aspects majeurs de la QVT, dans le domaine RH et managérial, est la dimension participative, l’autonomisation, le fait, globalement, d’avoir un pouvoir sur son cadre de travail. Ces notions proviennent davantage de la culture managériale du privé. L’essor de la QVT dans la fonction publique s’insère donc dans le mouvement général de « managérialisation » du public, qui inclut notamment l’encouragement du dialogue social et l’autonomisation des politiques RH des différents services, établissements et collectivités.

 

L’irruption du dialogue social dans la QVT ?

La concertation avec les représentants des agents a cependant fait son entrée dans le processus par deux voies conjointes :

  • La loi de transformation de la fonction publique est venue créer un nouveau cadre pour le dialogue social au sein des administrations et des collectivités – tout en ajoutant, comme on l’a vu, la QVT à la liste des thématiques de négociations possibles. La voie est donc ouverte, en principe, à des accords sur ce thème.
  • Dans le même temps, le plan Santé au Travail 2022-2025, initialement prévu pour 2020-2023, a été élaboré en concertation avec les organisations syndicales des trois versants de la fonction publique. Son axe 3 porte explicitement sur le thème « favoriser la qualité de vie et des conditions de travail ».

 

Le plan Santé au travail reprend la définition mentionnée ci-dessus : « Le développement de qualité de vie et des conditions de travail dans la fonction publique regroupe toutes les actions permettant d’assurer la conciliation de la qualité des conditions de vie et de travail des agents et de la qualité du service public. » La priorisation de la QVT au sein du plan repose sur 2 objectifs et 6 mesures, qui visent à l’acculturation des agents et des cadres de la fonction publique aux thématiques QVT, mais aussi à l’évolution de la culture managériale et à l’association des agents à la concertation sur le travail.

 

La conjonction de ces deux textes – loi de transformation et plan Santé au travail – se traduit depuis 2022-2023 par une série d’initiatives visant à stimuler le dialogue social sur la QVT à travers l’ensemble des 3 fonctions publiques.

  • En juin 2023, deux documents ont ainsi été mis à disposition des employeurs et responsables RH du public, conformément aux engagements du Plan Santé au travail : un référentiel pour élaborer des chartes de la QVCT, un référentiel pour conduire des négociations d’accords sur la QVCT. Le second donne des repères pour lancer une démarche de dialogue social autour du sujet ; le premier concerne les employeurs qui préfèrent une démarche plus « top-down », ou qui ont tenté la négociation sans aboutir à un accord.
  • Dans le même temps, le ministère de la transformation et de la fonction publiques lançait une grande consultation auprès des agents des trois versants, sur le thème de la QVCT. La consultation intervient dans le cadre du programme « Fonction Publique + », lancé en début d’année pour promouvoir la qualité de vie et des conditions de travail du secteur. La consultation a réuni plus de 110 000 participants : la moitié dans la fonction publique d’Etat, et un quart dans chacun des deux autres versants. La FPT (un tiers des effectifs du public environ) est donc légèrement sous-représentée. Les agents des 3 catégories ont participé, même si la catégorie C ne totalise qu’un participant sur 5 (contre 2 sur 5 dans les effectifs totaux des trois fonctions publiques). Les résultats détaillés de la consultation sont toujours en attente de publication au moment de la rédaction de cet article.

 

La dimension participative inhérente à la démarche de la QVT/QVCT peine donc à se traduire, pour le moment, dans le dialogue social effectif : les initiatives continuent à partir de l’Etat, pour l’essentiel. Pourtant, les agents manifestent un intérêt réel pour la thématique, comme en témoigne le succès de la consultation. Et le nouveau cadre du dialogue social est encore trop récent pour avoir produit de nombreux accords. Une exception notable est l’accord sur le télétravail dans la fonction publique du 3 avril 2022 : la thématique relève bel et bien de la qualité de vie et des conditions de travail. Mais l’approche globale qui caractérise la QVT ne s’est pas encore traduite par des textes de grande ampleur.

 

La QVT dans la fonction publique : quel contenu ?

Les domaines d’application de la QVT

La qualité de vie au travail est de fait un concept assez vaste, qui recouvre de nombreux domaines. Les référentiels mis à disposition en juin 2023 listent les thématiques suivantes :

  • la conciliation vie privée/vie professionnelle ;
  • la dimension « santé au travail », pénibilité, RPS ;
  • l’organisation du travail : télétravail, flexibilité, droit à la déconnexion…
  • l’écoute des agents, la participation à la définition des conditions de travail ;
  • la formation et les perspectives d’évolution ;
  • l’égalité professionnelle et l’inclusion ;
  • l’action sociale et la RSE.

Tous ces éléments font effectivement partie de la qualité de la vie au travail. Curieusement, cette liste semble faire l’impasse sur ce qui est pourtant au cœur de la démarche, telle qu’on la retrouve dans le Guide de 2019 : la dimension « empowerment », l’autonomisation, la participation des agents, les enjeux managériaux. Sans doute parce que cette dimension, dans le public, est fortement encadrée par la loi, et peut plus difficilement faire l’objet d’innovations que dans le privé. Sans doute aussi parce que la dimension participative est inhérente à la démarche QVT, les thématiques ci-dessus en étant les domaines d’application.

 

Le Guide de 2019 précise ainsi : « Une démarche QVT n’est donc pas un nouveau sujet autonome à traiter, par exemple pour remplacer le sujet des RPS, ni

 

une nouvelle thématique se surajoutant à celles déjà en cours de mise en œuvre. La thématique de la QVT ouvre un nouveau cadre d’action collective pour piloter une organisation publique de façon plus cohérente et plus en lien avec le travail des agents et avec leur participation ».

 

QVT ou QVCT ?

Comme nous l’avons vu, depuis la réforme de la Santé au travail de 2021, le code du Travail parle de « Qualité de vie et des conditions de travail » (QVCT) et non plus simplement de « Qualité de vie au travail » (QVT). Cette modification n’a pour le moment pas été étendue au code général de la Fonction publique, mais l’ensemble des documents produits par le ministère, la DGAFP et les partenaires sociaux sur le sujet évoquent désormais le plus souvent la QVCT.

Quelle est la différence ? Nous avons souligné le fait que la France est venue assez tard au concept de QVT, lui préférant celui de « conditions de travail ». L’une des raisons de ce décalage temporel est probablement une certaine méfiance des acteurs, experts et institutions à l’égard d’une notion perçue comme trop théorique et pas suffisamment en prise avec le quotidien des salariés et des agents au travail. En clair, la QVT est parfois considérée comme étant la porte ouverte aux « gadgets RH », salles de sport, cours de yoga, etc. Elle est facilement soupçonnée de traiter davantage de la périphérie du travail que de son contenu. Elle pourrait ainsi être utilisée dans une optique plus curative – compenser les conséquences d’un travail nocif – plutôt que préventive – organiser le travail de façon à ce qu’il ne soit pas toxique.

La notion de « qualité de vie et des conditions de travail », malgré sa maladresse grammaticale, parvient à réconcilier ces deux dimensions. La QVCT traite ainsi de l’ensemble des facteurs, internes et externes, intrinsèque et environnementaux, qui rendent le travail épanouissant et non-toxique.

 

Les thèmes porteurs

La consultation organisée cet été dans le cadre du programme « Fonction publique + » mettait l’accent sur 6 grands axes :

  • « les pratiques managériales ;
  • la simplification ;
  • la prise d’initiative ;
  • la modulation du temps de travail ;
  • l’accès au logement ;
  • l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. »

 

Le management fait donc partie intégrante des aspects sur lesquels les agents sont invités à se prononcer. S’y ajoute la prise d’initiative, sujet porteur également de conséquences sur la culture managériale. La démarche qui est proposée ici ne se limite donc pas à la négociation d’avantages supplémentaires.

 

À côté des 110 000 réponses à l’enquête, plus de 11 000 contributions ont été déposées spontanément dans la « boîte à idées » mise à disposition. La répartition des thèmes abordés est instructive en elle-même :

  • Le principal poste est relatif aux conditions de travail et à la santé au travail.
  • Un cinquième des propositions concerne les relations managériales.
  • Viennent ensuite la RSE et l’égalité professionnelle (18%) et la simplification RH (16%).
  • Les propositions en matière d’équipement et d’environnement de travail ne mobilisent qu’un participant sur 10, et le logement seulement 4%.

 

Il faudra attendre la publication des résultats de la consultation pour mesurer l’ampleur et la nature de l’appropriation de la QVCT par les agents. Au-delà, il ne sera pas facile de mesurer le succès de la démarche au sein des trois versants, du fait même que l’objectif recherché est l’essaimage d’initiatives au sein des administrations, établissements et collectivités. D’autant plus que la QVCT est un méta-sujet, dont les progrès s’effectuent simultanément dans de nombreuses directions, plus ou moins faciles à suivre et évaluer : organisation du travail dans le temps et dans l’espace, conditions matérielles, environnement psychologique, style managérial, degré de maîtrise des agents sur leurs conditions de travail…

Ce qui est certain, c’est que les managers, responsables RH et employeurs du public qui souhaitent sincèrement développer une démarche de QVCT au sein de leur organisation disposent désormais de plus de moyens que jamais pour le faire. Ainsi que d’un climat général propice à l’expérimentation, à l’innovation et au dialogue. À cet égard, la QVCT apparaît bel et bien comme un levier de modernisation managériale à disposition de celles et ceux qui le souhaitent.

 

Véronique Tixier
Responsable Veille Légale Secteur Public chez Sopra HR Software
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