TENDANCES RH

Traduction d’une transformation du métier RH

DeAline Scouarnec
18 juillet 2022

Tribune de Aline Scouarnec, Professeur des Universités en Sciences de Gestion à l'Université de Caen, spécialisée en Management des Ressources Humaines.

 

 

Le contexte actuel de pandémie est souvent présenté comme un révélateur, voire un accélérateur de tendances, de ruptures et de signaux faibles que le monde du travail n’appréhendait pas toujours à sa juste valeur. Comme le précise Edgar Morin (2020), « les carences politiques, économiques, sociales révélées par la pandémie, ainsi que les grands dangers de régression qu’elle a pu augmenter, rendent indispensable une nouvelle voie ».

 

C’est dans ce contexte que les organisations ont dû faire face à de profondes transformations et faire preuve d’une agilité remarquable afin de s’adapter à un écosystème nouveau, ébranlé, impacté par les effets de la crise. Pour actualiser l’étude RH 7.0 de 2017, nous avons avec Franck Brillet, à l’aide d’une méthodologie de prospective des métiers éprouvée (Méthode P.M., Boyer, Scouarnec, 2002, 2009), réalisé une enquête en 2021 sur la transformation RH en partenariat avec l’ANDRH et l’AGRH. Dans un premier temps, nous allons présenter les principaux résultats en faisant état de 4 mondes possibles pour le futur du travail.

 

LES 4 MONDES DU FUTUR DU TRAVAIL

Le monde inspiré

Si l’inspiration peut se définir à la fois comme un souffle émanant d'un être surnaturel, qui apporterait aux hommes des révélations, un souffle créateur qui anime les artistes, les chercheurs, c’est également en physiologie, l’action par laquelle l'air entre dans les poumons, elle serait donc vitale. Transposée au monde des organisations, cette action d’inspirer, de conseiller quelque chose à quelqu’un apparait stratégique, en particulier en termes de management avec l’émergence récente du leader inspirant.

 

Dans notre étude, par monde inspiré, nous entendons un monde du travail centré sur la vision, l’innovation et le développement. Au regard de la transformation globale du monde, en cohérence avec une approche postmoderne (Maffesoli, 2021), le monde inspiré serait un monde où l’ensemble des parties prenantes sont en capacité de prendre une posture de veille prospective afin de leur permettre d’anticiper au mieux les tendances, ruptures te signaux faibles dans leur propre environnement, d’avoir une vision globale et systémique de leur écosystème et de favoriser des postures dynamiques de développement à la fois pour eux et pour ceux qui les entourent, tant en termes « business » que personnel. Une sorte de « positive attitude », reposant sur une capacité de résilience, de créativité et de dépassement de soi et ce, au service d’un monde des affaires performant.

 

Le monde relié

Toujours en cohérence avec cette approche postmoderne, un monde relié favoriserait la « reliance », autrement dit cette capacité à être relié, connecté et ainsi favoriser les échanges. Comme le précisait déjà en 2004 Edgar Morin, la notion de « reliance », inventée par le sociologue Marcel Bolle de Bal, comble un vide conceptuel en donnant une nature substantive à ce qui n’était conçu qu’adjectivement, et en donnant un caractère actif à ce substantif. « Relié » est passif, « reliant » est participant, « reliance » est activant… Il faut, pour tous et pour chacun, pour la survie de l’humanité, reconnaître la nécessité de relier, de se relier aux nôtres, de se relier aux autres, de se relier à la Terre-Patrie »(*).

 

Par monde relié, nous entendons donc un monde où le développement des technologies serait un facilitateur de connexions entre les personnes. Le développement des relations interpersonnelles serait aussi bien « augmenté » par des outils sans cesse plus innovants et fluides que par une volonté affichée des acteurs de vouloir favoriser le collectif et se retrouver au sein de communautés de métiers, de pratiques, d’échanges, etc. Il y aurait ainsi deux dimensions majeures dans ce monde relié : la dimension numérique liée à la transition numérique que nous avons précédemment décrite et la dimension de renouveau relationnel valorisant les collectifs de travail et la co-création ou co-construction. Ce monde pourrait être plus ou moins relié et ainsi avoir un impact plus ou moins favorable sur l’ensemble des acteurs.

 

Le monde engagé

Par monde engagé, nous entendons un monde où les acteurs auraient une conscience des enjeux sociétaux et durables et ce à plusieurs niveaux. En effet, les équipes Rh voient leur « terrain de jeu » s’élargir. Si le territoire était un concept important pour l’ANDRH depuis quelques années, il se confirme cette année. En effet, les équipes RH seront engagés aussi bien au niveau de la cité et elles auront des responsabilités citoyennes à préserver voire à développer. La prise en compte de l’ensemble des risques, de la criminologie, de la cybersécurité, etc. sont et seront de plus en plus des préoccupations RH. Dans ce monde engagé, la dimension RSE est au premier plan. C’est aussi la part croissante à accorder à la normalisation RH, encore peu prises en compte dans la réalité des organisations.

 

Nous l’avions dit en 2017 et nous le confirmons aujourd’hui, la RSE est un sujet RH. Dans cet équilibre entre l’économique, le social et l’environnemental, les équipes RH auront également à s’investir encore plus et certainement de manière renouvelée en matière de performance globale. Des approches innovantes associant les indicateurs clés de transformation et la prise en compte de l’ensemble des coûts et valeurs cachées sont attendues afin de positionner les équipes RH comme contributeurs clés aux bons résultats de l’organisation, tant sur le plan financier qu’humain. Ce monde pourrait être plus ou moins engagé et ainsi avoir un impact plus ou moins favorable sur l’ensemble des acteurs.

 

Le monde ‘care’

Ce monde ‘care’ serait un monde où la bienveillance serait le mot d’ordre. Au regard des conséquences que la crise sanitaire a pu avoir, le besoin de prise en compte de l’autre, de conseil, d’accompagnement se trouve mis au 1er plan. Et si les RH étaient aussi là pour prendre soin de l’ensemble des collaborateurs ? En effet, la prise en compte du bien-être des collaborateurs, de la qualité de vie, de l’équilibre vie privée-vie professionnelle sont certes des sujets connus dans la littérature managériale mais leur traduction en pratique peut encore être variable d’une organisation à une autre. Il s’agit pour ce faire de développer encore plus toutes les politiques dites de QVT, de travailler de façon plus concertée et collective sur le management du travail, de repenser tous les équilibres temps/espaces de travail et de savoir tirer les bonnes conclusions de la crise sanitaire.

 

Dans ce monde ‘care’, il conviendra également de prendre soin des collaborateurs en les faisant grandir et là, nous retrouvons les orientations de la Réforme Pénicaud sur la liberté de choisir son avenir professionnel. Les RH ont un rôle crucial à jouer demain, et encore plus qu’hier sur la montée en compétences des équipes, individuellement et collectivement. Pour ce faire, c’est à une approche renouvelée de la GPEC/GEPP versus Workforce Planning qu’il faudrait arriver avec des programmes personnalisés de développement des compétences.

 

Il conviendra également de travailler la posture des équipes RH afin de valoriser cet esprit de service tant attendu par tous. Les équipes RH auront à être exemplaires et à initier une culture de l’esprit de service dans les organisations. Ce monde pourrait être plus ou moins bienveillant et ainsi avoir un impact plus ou moins favorable sur l’ensemble des acteurs.

 

UN.E DRH HYBRIDE

A partir de ces différents mondes, il semble pertinent de dessiner les formes d’hybridation du DRH de demain.

Le premier niveau d’hybridation a trait au « dosage » de ces 4 mondes dans les stratégies, les politiques et les pratiques mises en oeuvre par un.e DRH. Il pourrait s’agir d’une hybridation des positionnements.

 

Le deuxième niveau d’hybridation correspond au « dosage » de partage de la fonction RH avec les managers et les autres partenaires RH internes et externes. Il pourrait s’agir d’une hybridation des acteurs.

 

Le troisième niveau d’hybridation s’inscrit dans la déclinaison plus opérationnelle des compétences des équipes RH.

 

En fonction des différents scénarios associés à chacun des 4 mondes du travail de demain, quelles sont les possibles hybridation de compétences ? Si la transversalité et la remise en cause des organigrammes RH en silo semble se dessiner, comment « hybrider des compétences en développement des compétences tout au long de la vie, mixant des compétences historiques liées à l’orientation, au recrutement, à la formation ou à la gestion de carrières par exemple. Si l’hybridation correspond à une traduction opérationnelle des transformations en cours en matière de gestion des ressources humaines, elle invite encore une fois à adopter une posture prospective afin de savoir quoi et comment hybrider et surtout à développer des parcours de formation/développement des compétences hybrides eux aussi pour les équipes RH : un beau challenge pour les années à venir !

 

(*) Edgar Morin, « La Méthode T I V, L’Ethique », 2004, Ed du Seuil, p.269

 

Tribune extraite du Livre Blanc JobSféric. Pour télécharger le Livre Blanc JobSferic : DRH hybride - Mai 2022

Aline Scouarnec
Associate University Professor
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