CONFORMITÉ RH

Le code général de la fonction publique : rationalisation et simplification

DeVéronique Tixier
12 mai 2022

Le mois de mars 2022 a vu l’achèvement d’un projet de longue haleine, annoncé depuis 20 ans et commencé il y a plus de 10 ans : la publication de la partie législative du « code général de la fonction publique ». La partie réglementaire est attendue pour 2023-2024 au plus tôt. En réunissant les 4 lois Le Pors de 1983-86 qui constituaient jusqu’à présent le « statut de la fonction publique », les pouvoirs publics ont conduit un travail colossal de rationalisation et de simplification du droit. Selon le gouvernement, « plus de 120 lois ou articles de lois, plus de 650 décrets ou articles de décrets » devaient être affectés par le processus. Pour les professionnels RH du secteur public, c’est un véritable bouleversement, qui les contraint à court terme à se réapproprier la loi sous sa nouvelle forme, tout en promettant à long terme une plus grande clarté et simplicité d’utilisation. D’autant que le nouveau code se veut rédigé « selon une logique de ressources humaines », d’après le rapport relatif à l’ordonnance du 24 novembre 2021 qui l’institue. Nous revenons sur l’historique et les grandes lignes de cette petite révolution.

 

D’où vient le statut des fonctionnaires ?

Le statut de salarié du privé et le statut de fonctionnaire, qui tendent aujourd’hui à converger sur de nombreux points, ont des origines radicalement différentes et ont connu des évolutions parallèles. L’État ne s’est jamais présenté comme un employeur parmi d’autres. D’une certaine manière, le code général de la fonction publique constitue une sorte de code du travail du secteur public, marquant l’aboutissement de cette double histoire.

 

Les origines du statut

Selon le conseiller d’État Bernard Pêcheur, « bien avant 1946 les fonctionnaires français se voient conférer par la jurisprudence un véritable statut général, tout à la fois protecteur et contraignant et, à ce double titre, dérogatoire par rapport au droit commun ». Le même phénomène se produit ailleurs en Europe, mais il y a une spécificité française : l’universalité du statut, qui s’étendra aussi bien aux fonctions régaliennes que non-régaliennes, à l’échelon de l’État comme à l’échelon local. Avec une préoccupation croisée : maintenir l’autorité hiérarchique de l’État, tout en protégeant, de plus en plus, les agents face au risque de l’arbitraire.

La loi du 9 juin 1853 représente un pas important : sans créer de statut commun, elle institue un régime de retraite unique pour les fonctionnaires d’État (un peu moins de 160 000 agents à l’époque). Les agents des collectivités locales et des hôpitaux conservent des caisses autonomes.

La première date importante sur la voie du statut est ensuite la loi du 22 avril 1905, dont l’article 65, toujours en vigueur, précise que les fonctionnaires « ont droit à la communication personnelle et confidentielle de toutes les notes, feuilles signalétiques et tout autre document composant leur dossier,soit avant d'être l'objet d'une mesure disciplinaire ou d'un déplacement d'office, soit avant d'être retardé dans leur avancement à l'ancienneté. » C’est le droit à la communication du dossier, intervenant suite à la fameuse « affaire des fiches », dans laquelle un système de fichage des militaires en fonction de leurs opinions politiques avait été mis en place et utilisé pour inspirer les décisions d’avancement. Cette loi est importante parce qu’elle concerne tous les agents publics, civils ou militaires et qu’elle leur confère un droit face à leur hiérarchie.

Viennent ensuite les lois de 1912 sur le tableau d’avancement et de 1913 sur les règles du détachement. En 1921, une autre loi facilite le rapprochement entre époux fonctionnaires en cas de mutation.

Plusieurs projets de statut des fonctionnaires sont élaborés et abandonnés dans l’entre-deux-guerres. Mais les administrations, en règle générale, ne courent pas après et tiennent à leur indépendance. Un projet de loi était cependant prêt à être déposé en septembre 1939, au moment du déclenchement de la guerre. L’exposé des motifs en était même déjà rédigé !

La première tentative aboutie a lieu sous le régime de Vichy. Les 3 lois du 14 septembre 1941 posaient les premières pierres d’un statut unifié de la fonction publique. Mais le texte n’aura jamais vraiment l’occasion d’entrer en application.

 

Le statut des fonctionnaires de 1946 et ses suites

Inspirée par les travaux du Conseil national de la résistance mais non initié par lui, la loi du 19 octobre 1946 crée le « statut général des fonctionnaires », sous l’impulsion du général de Gaulle et du ministre de la fonction publique Maurice Thorez. Il s’applique alors à plus d’un million de fonctionnaires d’État. Le recrutement, la carrière, la rémunération, le système par grades et emplois, le droit syndical sont unifiés. Le statut a été repris par une ordonnance du 4 février 1959 après le changement de Constitution.

Une loi du 28 avril 1952 crée ensuite un statut du personnel des communes, sur le modèle du statut de 1946, mais sans leur conférer pour autant le statut de fonctionnaires stricto sensu. Nombre de dispositions se réfèrent cependant explicitement à celles qui s’appliquent aux fonctionnaires de l’État. Ce texte préfigure le statut de la fonction publique territoriale.

Un décret du 20 mai 1955 produit le même effet pour les personnels des hôpitaux publics. Il s’inspire explicitement des deux précédents textes, dans son exposé des motifs. C’est l’ancêtre du statut de la fonction publique hospitalière.

 

Les lois Le Pors de 1983-1986

L’étape suivante, celle qui a donné naissance à la situation actuelle, découle des lois élaborées sous le ministère de la Fonction publique d’Anicet Le Pors au cours du premier mandat de François Mitterrand. À l’origine, il n’était question que d’une refonte du statut des fonctionnaires d’État – une sorte de pendant public des lois Auroux, renforçant les droits des agents. Mais les lois de décentralisation ont mis le sujet des agents locaux à l’ordre du jour.

En définitive, le choix a été fait de réaliser un statut général des fonctionnaires, constitué des 4 lois bien connues :

-       Les dispositions générales communes sont contenues dans la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, et constituent le titre I du statut.

-       Les titres II et III correspondent respectivement à la fonction publique d’État (loi du 11 janvier 1984) et à la fonction publique territoriale (loi du 26 janvier 1984). Les deux textes ont été publiés, significativement, quasiment au même moment, au mois de janvier 1984. Selon Anicet Le Pors, cette simultanéité symbolique est le fruit d’une volonté délibérée de Pierre Mauroy, Premier ministre, qui avait demandé à ce que la loi relative aux fonctionnaires d’État soit différée alors qu’elle était déjà prête.

-       Le titre IV, relatif à la fonction publique hospitalière, mettra plus de temps à aboutir. Il faudra attendre deux ans de plus la loi du 9 janvier 1986 pour que ce 3e versant de la fonction publique ait son texte dédié.

Les trois fonctions publiques ont été régies entre 1986 et 2022 par ces 4 lois, complétées ponctuellement par d’autres textes.

À noter que depuis 1991, le code des pensions civiles et militaires de retraite s’applique à l’ensemble des fonctionnaires des 3 versants, même si leurs régimes sont régis par des organismes distincts (service des pensions de l’État pour les fonctionnaires d’État, CNRACL pour les fonctionnaires territoriaux et hospitaliers).

 

Le code général de la fonction publique : un projet déjà ancien

Entre 1986 et 2022, le législateur a fait au moins 5 tentatives pour donner naissance à ce code général de la fonction publique.

Les deux premières remontent au 2e mandat de Jacques Chirac. La loi de simplification du droit du 9 décembre 2004 donnait déjà l’habilitation au gouvernement de prendre une ordonnance dans ce sens. Celui-ci n’ayant pas utilisé cette faculté, la loi du 2 février 2007 de modernisation de la fonction publique l’a reproposée.

Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, la loi du 5 juillet 2010 relative à la rénovation du dialogue social et la loi du 12 mars 2012 ont réitéré la proposition, sans suite.

La dernière tentative remonte à la présidence Hollande, avec la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires.

La présence d’une habilitation à prendre une ordonnance pour codifier le statut des fonctionnaires dans les lois concernant la fonction publique était donc en train de devenir une sorte de d’habitude et on aurait pu penser que l’article 55 de la loi de transformation de la fonction publique rencontrerait le même sort que les tentatives précédentes. Et ce d’autant plus que la création du code général de la fonction publique ne figurait pas, ni dans le projet de loi initial, ni dans les priorités du programme Action Publique 2022.

C’est un amendement gouvernemental proposé en commission des lois de l’Assemblée nationale qui a finalement inséré la possibilité de l’habilitation dans le projet de loi de transformation. Dans l’exposé de l’amendement, le gouvernement exprimait l’assurance que « le délai de 24 mois prévu pour prendre l’ordonnance permettrait l’aboutissement des travaux de codification, initiés depuis plus de dix ans ». La loi d’urgence du 23 mars 2020 prise pour faire face à la pandémie ayant prolongé le délai de 4 mois, soit jusqu’au 8 décembre 2021, l’ordonnance a été finalement signée le 24 novembre 2021.

 

Dernier acte : le code général de la fonction publique

Le code général de la fonction publique, dont la partie législative vient donc d’être publiée le 1er mars 2022, réunit les dispositions des 4 grandes lois statutaires de 1983-86, en y ajoutant un grand nombre d’articles présents dans d’autres codes et lois. Beaucoup de dispositions devenues obsolètes ont également été abrogées. Pour les juristes et les professionnels RH de la fonction publique, c’est une rupture avec des repères acquis depuis longtemps, mais au profit d’un texte plus simple et plus logique.

Ce code est le résultat d’un travail considérable de rationalisation à droit constant. Au fil des années, nombre de dispositions, notamment dans le domaine RH, ont été inscrites en parallèle dans chacune des lois propres à chacune des fonctions publiques. Toutes ces mesures ont pu faire l’objet d’une « mise en facteur », et se retrouvent unifiées dans le nouveau code, avec mention des éventuelles spécificités.

Certaines dispositions des lois statutaires, dont il a été jugé qu’elles n’appartenaient pas au champ du code général de la fonction publique, ont été intégrées à d’autres codes, notamment ceux de l’éducation et de la santé publique.

 

Les mesures transitoires

Certaines dispositions changent de domaine : elles perdent leur nature législative pour devenir réglementaires. Or, la partie réglementaire du code ne sera pas publiée avant 2023-2024 au plus tôt. Un décret du 25 février 2022 liste ces mesures afin de les maintenir en vigueur dans l’intervalle. Si vous cherchez en vain certaines mesures des anciennes lois statutaires dans le nouveau code, il y a de fortes chances pour qu’elles se retrouvent dans ce décret. C’est le cas, par exemple, de la liste des fonctions de direction qu’il ne faut pas avoir exercées dans les 2 ans précédents dans le ressort d’un département, région ou établissement public administratif, si l’on souhaite être recruté par ladite collectivité.

L’ordonnance du 24 novembre 2021 assure également « l’intérim » des dispositions qui ne sont pas encore entrées en vigueur, par exemple en maintenant jusqu’aux élections professionnelles de décembre 2022 les noms actuels des instances de dialogue social. Notons également les 49 nouveaux articles présents dans le code de la fonction publique et qui nécessitent, pour certains, des décrets d’application au plus tôt sans attendre 2023.

 

La structure

Le nouveau code général de la fonction publique est structuré non plus par versants, mais en 8 grands Livres thématiques.

Un chapitre liminaire précise le champ d’application du code, à savoir les fonctionnaires civils et les contractuels. Les trois versants sont définis tour à tour. L’article 7 contient des précisions connues mais importantes de vocabulaire : ainsi, « agent public » désigne aussi bien les titulaires que les contractuels, « fonctionnaire » ne désigne que les titulaires.

Le Livre I est consacré aux droits et obligations des fonctionnaires. Il se fonde, pour la plus grande part, sur le titre I de l’ancien statut, c’est-à-dire la loi du 13 juillet 1983. Cette partie était déjà commune aux 3 fonctions publiques. C’est dans cette partie que l’on trouve notamment les questions de lutte contre les discriminations, d’égalité femmes-hommes et de protection contre le harcèlement.

Dans les Livres suivants, les mesures issues de la loi du 13 juillet 1983 sont largement complétées par des parties précisant les spécificités des 3 versants, issues des trois autres lois Le Pors.

Le Livre II contient tout ce qui concerne le dialogue social et les instances de représentation.

Le Livre III porte sur le recrutement des agents. Il contient aussi bien les modalités de recrutement des titulaires que les moyens du recours aux contractuels.

Le Livre IV s’intéresse aux « principes d’organisation et de gestion des ressources humaines ». La notion de « ressources humaines » fait ainsi son entrée dans les grands titres d’un texte régissant les agents de la fonction publique. Dans cette partie, on retrouve les dispositions relatives aux lignes directrices de gestion, mais aussi la définition des grands corps, avec les spécificités par versant. Un titre est consacré à la formation professionnelle continue. Le télétravail fait son entrée dans le statut de la fonction publique : un titre lui est consacré, même s’il ne contient pour le moment qu’un seul article – les trois chapitres qui composent le titre ne contenant pas de mesures législatives. Jusqu’à présent, les 4 lois ne le citaient qu’une fois, comme l’un des thèmes de discussion ouvert au dialogue social. L’article inclus dans le nouveau code provient en effet de la loi du 12 mars 2012, dans sa version modifiée par la loi de transformation du 6 août 2019. Le livre IV comporte également les mesures relatives aux réorganisations, mais aussi au CNFPT et aux centres de gestion.

Les Livres V à VII sont consacrés respectivement aux autres grands volets de la gestion RH : la carrière, le temps de travail et les congés, la rémunération.

Le Livre VIII, enfin, porte sur la santé et la sécurité au travail.

 

Le code général de la fonction publique substitue donc à 4 lois aux structures disparates, un document rationalisé et construit suivant une logique RH incontestable. Le plan est à la fois clair et intuitif, les spécificités par versants sont rassemblées dans des sous-parties dédiées et bien identifiées et les mesures obsolètes ont été abrogées. Il est vraisemblable qu’avec le temps, le texte s’étoffera et gagnera en complexité. En attendant, nous sommes en présence d’un vrai cas de simplification juridique qui réduit effectivement le volume du droit existant, puisque les nombreuses mentions redondantes entre les 3 anciennes lois régissant les 3 versants n’apparaissent plus qu’une seule fois et que nombre de mesures anciennes ont été abrogées. La réalisation de la partie réglementaire représente également un chantier considérable. Nul doute que sa parution prévue à partir de 2023 facilitera grandement la tâche des juristes et des responsables RH de la fonction publique. 

Véronique Tixier
Responsable Veille Légale Secteur Public chez Sopra HR Software
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