CONFORMITÉ RH

La loi de transformation de la Fonction Publique : bilan d’étape

DeVéronique Tixier
28 mars 2022

Promulguée le 6 août 2019, la loi de transformation de la fonction publique affichait l’ambition de poser « les fondements d’une rénovation en profondeur du cadre de gestion des ressources humaines dans la sphère publique », selon le guide de présentation publié à l’époque par le ministère de la Fonction publique. Un peu plus de 30 mois plus tard, où en est-on ? Une quarantaine de décrets et au moins 5 ordonnances plus loin, la loi a déjà profondément refaçonné de multiples aspects de la gestion des ressources humaines dans les 3 fonctions publiques, même si elle n’a pas encore produit tous ses effets. Avec près de 100 articles, elle aborde une variété de thématiques qui défie la synthèse. Nous allons essayer d’en aborder les principaux points ayant un impact « RH » concret sur les administrations, en essayant à chaque fois de faire le bilan de l’application des mesures, de leur appropriation sur le terrain et des spécificités propres à chaque versant de la fonction publique.

 

Origine, structure et ambition de la loi

L’histoire de la loi de transformation de la fonction publique commence le 13 octobre 2017 avec le lancement du programme Action Publique 2022, qui visait à « repenser le modèle de l'action publique en interrogeant en profondeur les métiers et les moyens d’action publique au regard de la révolution numérique qui redéfinit les contours de notre société ».

Dans la continuité d’Action Publique 2022, le décret du 20 novembre 2017 a ensuite créé le Comité interministériel de la transformation publique, qui se réunit deux fois par an. La première réunion, le 1er février 2018, a été l’occasion de présenter la feuille de route du Comité, déclinée en 5 chantiers transversaux : « ressources humaines, modernisation de la gestion budgétaire et comptable publique, simplification et qualité de service, transformation numérique, et organisation territoriale des services publics ». Il s’en est suivi une cinquantaine de réunions de concertation avec les partenaires sociaux, qui ont alimenté le projet de loi déposé le 27 mars 2019 à l’Assemblée nationale. Les débats dureront un peu plus de 4 mois.

 

5 grands champs d’action

La loi s’articule en 5 grandes parties :

-       Réforme du dialogue social ;

-       Réforme du management et de la gestion des ressources humaines ;

-       Réforme du cadre de gestion des agents ;

-       Mobilités et parcours ;

-       Égalité professionnelle, en particulier entre les femmes et les hommes.

Des dispositions spécifiques aux 3 fonctions publiques sont insérées dans ces 5 grandes parties.

Dans l’ensemble de la loi, on dénote une tendance claire à la convergence vers les règles applicables dans le privé. Il y a une ambition d’unification du cadre juridique et de facilitation des ponts entre les deux mondes.

 

La réforme du dialogue social

La convergence recherchée avec le privé est particulièrement nette dans le domaine du dialogue social.

 

La fusion des instances

La création dans le privé du Comité social et économique (CSE) par fusion du comité d’entreprise et du CHSCT, prévue par l’une des ordonnances Pénicaud du 22 septembre 2017, sert clairement de modèle à la création des Comités sociaux par rapprochement des comités techniques (CT) et des CHSCT, prévue à l’article 4 de la loi. Les instances prennent des noms différents suivant les fonctions publiques, et ont été l’objet de décrets distincts pour préciser leur composition, organisation et fonctionnement :

-       Comités sociaux d’administration (CSA) dans la fonction publique d’État (décret du 20 novembre 2020) ;

-       Comités sociaux territoriaux (CST) dans la fonction publique territoriale (décret du 10 mai 2021) ;

-       Comités sociaux d’établissements (CSE) dans la fonction publique hospitalière (décret du 3 décembre 2021).

Il faudra dans tous les cas attendre après le 8 décembre 2022 et les élections professionnelles pour que ces nouveaux comités soient mis en place. Selon l’étude d’impact de la loi, ce sont 2 054 CHSCT dans la FPE, 4 800 dans la FPT et 2 200 dans la FPH qui vont disparaître avec ces élections. Le législateur n’était cependant pas en mesure de dire précisément combien de titulaires étaient en place dans les CT et les CHSCT dans les 3 fonctions publiques ; il estimait simplement que le nombre en serait un peu réduit par la réforme, et que le coût pour les administrations, en autorisations d’absence et en frais de déplacement, serait sans doute en baisse. Mais ces gains financiers pourraient être contrebalancés par l’exercice du droit à la « formation spécialisée en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail ». Dans la fonction publique territoriale, selon la fiche d’impact du décret, le surcoût lié à ces formations pourrait atteindre 1,87 millions d’euros par an en moyenne, pour l’ensemble de la FPT.

Au-delà d’une possible amélioration de l’efficacité des instances, la création des comités sociaux ne bouleverse cependant pas, en elle-même, le dialogue social au sein de la fonction publique.

 

La négociation sociale

C’est d’abord dans le domaine de la négociation sociale que la réforme apporte véritablement du nouveau. L’article 14 de la loi visait à développer la négociation d’accords entre employeurs publics et représentants des agents. Possible depuis 2010 en théorie, la conclusion d’accords n’avait pas véritablement décollé. La loi renvoyait à une ordonnance, qui a été prise le 17 février 2021, avec un décret d’application du 7 juillet 2021.

L’enjeu de ces textes est essentiel. Auparavant, en cas de litige, le Conseil d’État jugeait invariablement que tout protocole d’accord signé entre les employeurs publics et les syndicats était « dépourvu de valeur juridique et de force contraignante. L’incitation à négocier était donc faible.

L’ordonnance du 17 février transforme radicalement la situation, en réécrivant l’article 8 bis de la loi du 13 juillet 1983, désormais transcrit dans les articles L222-1 à L222-5 du nouveau code général de la fonction publique. Il est désormais possible de négocier des accords qui « peuvent comporter des dispositions édictant des mesures réglementaires ainsi que des clauses par lesquelles l'autorité administrative s'engage à entreprendre des actions déterminées n'impliquant pas l'édiction de mesures réglementaires ».  Lorsque des mesures réglementaires sont envisagées, l’employeur doit en préciser le calendrier d’adoption. Bien sûr, il n’est pas possible de contredire le droit existant. Mais de fait, la négociation sociale dans la fonction publique peut désormais créer de la norme.

Première application de ce nouveau dispositif : les partenaires sociaux et l’État ont signé le 26 janvier 2022 un accord sur la protection sociale complémentaire des fonctionnaires de l’état. Certes, le texte intervient en application de  l’ordonnance du 17 février 2021  consacrée au financement de la complémentaire santé, mais il se réfère bien au nouveau type d’accord, et celui-ci sera bien juridiquement contraignant.

Le 15 février, un accord de méthode a été conclu sur le même thème dans la fonction publique territoriale. La loi prévoit en effet, à côté des accords proprement dits, des accords-cadres et des accords de méthode. Celui-ci n’est donc pas l’équivalent de l’accord signé dans la FPE, mais il prépare de futures négociations visant à aller au-delà des paramètres de financement des complémentaires santé définis par le décret à venir.

La possibilité de négocier des mesures spécifiques sur l’un des 14 thèmes prévus par la loi (des conditions de travail à la GPEC en passant par la formation et l’égalité professionnelle) change radicalement la donne du dialogue social dans le public et représente un véritable axe de convergence avec le privé. Les autorités ont manifesté l’intention explicite de favoriser cette voie, notamment en éditant un « guide » actualisé de la négociation collective dans la fonction publique d’État.

 

Dialogue social et RH

La loi a également modifié le rôle des partenaires sociaux dans la gestion des ressources humaines, au moment où elle rationalisait certains outils de celle-ci. Elle a ainsi créé :

-       Les « lignes directrices de gestion », désormais codifiées auxarticles L413-1 et suivants du code général de la fonction publique, et qui « déterminent la stratégie pluriannuelle de pilotage de ressources humaines, notamment en matière de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. » Elles contiennent les règles d’avancement et de promotion. Elles sont définies pour une durée maximale de 5 ans dans la FPE et la FPH, 6 ans dans la FPT. C’est l’employeur public qui les élabore, après avis du comité social (ou comité technique jusqu’à la fin 2022). En principe, elles ont dû être mises en place par tous les employeurs depuis le 1er janvier 2021.

-       Le « Rapport social unique » qui regroupe l’ensemble des indicateurs relatifs à la gestion des ressources humaines. Il doit être présenté aux comités sociaux et « sert de support à un débat relatif à l'évolution des politiques des ressources humaines ». Obligatoire en principe depuis le 1er janvier 2021, il reprend les indicateurs listés dans des arrêtés spécifiques pour chaque fonction publique. On notera que ces arrêtés ont été publiés tardivement : le 7 mai 2021 pour la FPE, le 10 décembre 2021 pour la FPT. Celui de la FPH est toujours attendu.

-       La « Base de données sociale », outil qui permettra, à partir de fin 2022, aux partenaires sociaux de consulter en permanence les indicateurs du rapport social unique.

Dans le même temps, les Commissions administratives paritaires ont perdu progressivement l’essentiel de leurs prérogatives en matière d’examen des cas individuels de mutation et mobilité (depuis 2020) et d’avancement/promotion (depuis 2021). Elles ne jouent plus qu’un rôle de « cour d’appel » consultative en cas de contestation par un agent d’une décision.

Le rôle du dialogue social dans la gestion des ressources humaines se trouve donc à la fois uniformisé dans les 3 fonctions publiques, rationalisé et systématisé. Les partenaires sociaux ont donc leur mot à dire sur la gestion des emplois et des carrières, même si ce rôle reste purement consultatif. Les bénéfices de ces mesures dépendront de la façon dont les autorités et les instances représentatives se saisiront de ces outils.

 

Les mesures RH concernant les contrats

Déjà esquissée dans la partie précédente, la dimension « réforme des RH » de la loi de transformation s’appuie sur une diversité de mesures qui toutes vont dans le sens d’un assouplissement du recours aux contractuels et d’un rapprochement avec les procédures du privé. Où en est-on en mars 2022 ?

 

Le recrutement des contractuels

L’un des objectifs affichés de la loi est de préparer le terrain juridique à un accroissement du recours aux contractuels. La loi prend donc soin d’encadrer davantage les recrutements afin qu’ils soient prononcés « à l'issue d'une procédure permettant de garantir l'égal accès aux emplois publics ». Il s’agit de sécuriser l’embauche de contractuels au regard de l’article 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 et peut-être de limiter le recours à des pratiques de recrutement  non égalitaires. En pratique, un décret du 19 décembre 2019 a posé clairement les nouvelles bases sur lesquelles les employeurs publics doivent s’appuyer pour recruter des contractuels sur des emplois permanents : publicité de l’offre d’emploi sur le site Place de l’emploi public (plateforme créée suite au décret du 28 décembre 2018), fiche de poste précise listant les qualifications et compétences attendues, accusé de réception de chaque candidature, présélection, entretien…

Le pari est que ce formalisme permettra aux employeurs publics de recourir plus facilement et dans de meilleures conditions de visibilité et de sécurité juridique à l’emploi de contractuels. Surtout, dans le même temps, les situations dans lesquelles il est possible d’embaucher des contractuels ont été élargies et assouplies dans les trois fonctions publiques. De fait, en comparant les chiffres clés de la fonction publique pour 2018 et pour 2019 (derniers chiffres disponibles), on constate que le nombre de contractuels a augmenté de 5% en 2019, contre 0,2% pour les fonctionnaires. Chronologiquement, cependant, on ne peut pas assigner cet effet à la loi. Les premiers chiffres pour 2020 semblent également aller dans le sens d’une accélération de l’embauche des contractuels, en particulier dans les établissements publics.

 

Le contrat de projet

L’une des innovations les plus « médiatisées » de la loi de transformation de la fonction publique est le contrat de projet. Il s’agit d’un CDD de 1 à 6 ans conclu dans le cadre d’une mission précise et circonscrite, et qui ne peut conduire ni à un CDI ni à une titularisation. Comme le fait remarquer le site emploipublic.fr, alors que la loi Sauvadet de 2012 poussait les employeurs publics à titulariser les contractuels, la loi de 2019 a créé au contraire un statut de contractuels non titularisables. Précisé par un décret du 27 février 2020 pour les trois fonctions publiques, le contrat de projet serait de plus en plus utilisé, mais aucun chiffre ne semble encore disponible. Il semble en tout cas plus précis et plus « maniable » que le « CDI de projet » créé dans le privé par les ordonnances travail de 2017 sur le modèle du contrat de chantier du BTP.

Par ailleurs, la gestion des fins de contrats s’est rapprochée du privé sur plusieurs points :

 

La prime de précarité

La prime de précarité de 10% due aux salariés en CDD doit désormais être versée aux contractuels recrutés pour des contrats de moins d’un an. Le décret qui précise les modalités de cette mesure de la loi dans les 3 fonctions publiques est paru le 23 octobre 2020. Comme dans le privé, l’indemnité n’a pas à être versée si le contractuel a refusé une embauche en CDI, s’il ne va pas jusqu’au terme de son contrat ou s’il s’agit d’un emploi saisonnier. Mais il y a deux exceptions spécifiques au public : si la durée cumulée des contrats dépasse un an, aucune indemnité n’est due. Il en va de même si la rémunération perçue est supérieure à deux fois le Smic.

Le coût de la mesure était estimé à 410 M€ par an. Deux ans et demi plus tard, dans le rapport sur l’évaluation de la loi de transformation rendu dans le cadre du projet de loi des Finances pour 2022, , le coût de la prime de précarité dans les trois fonctions publiques de janvier à septembre 2021 peinait à atteindre 7 M€. La loi a-t-elle fonctionné au-delà de toute attente, conduisant les employeurs publics à réduire le recours aux emplois précaires ? Où les contrats sont-ils de façon plus courante d’une durée supérieure à un an ? Il n’est pas possible de le dire à ce stade, mais la seconde hypothèse est la plus probable. La durée minimale d’un an (au risque de voir le coût de la mesure exploser) pourrait à l’avenir être portée à 18 mois ou supprimée.

 

La rupture conventionnelle

Autre mesure très attendue, la rupture conventionnelle des fonctionnaires doit leur permettre de quitter leur emploi à l’amiable et de percevoir des allocations chômage. Il s’agit d’une expérimentation prévue pour une durée limitée, entre 2020 et 2025, en ce qui concerne les fonctionnaires. Deux décrets du 31 décembre 2019 ont précisé la procédure, qui s’apparente pour l’essentiel à la rupture conventionnelle instaurée dans le privé par la loi de modernisation du marché du travail du 25 juin 2008, avec cependant une indemnité minimale plus généreuse au-delà de 10 ans d’ancienneté. Il y a aussi une différence importante : l’impossibilité, pendant 6 ans, d’être réembauché par la même administration, mesure qui n’existe pas dans le privé.

Où en est-on de l’application de cette mesure ? Nous ne disposons pas encore de données consolidées pour l’ensemble des fonctionnaires, mais selon le rapport annuel sur l’état de la fonction publique de 2021, le nombre de ruptures conventionnelles, quoiqu’encore modeste, a augmenté significativement dans la fonction publique d’État en 2021 : 428 indemnités de rupture conventionnelle ont été versées dans la FPE en 2020, et 1 100 pour la seule période de janvier à juillet 2021 (soit probablement près de 2 000 dans l’année complète).

Plusieurs obstacles semblent s’opposer au développement de cette modalité de rupture du contrat. Le premier est d’ordre managérial et culturel : les employeurs de la fonction publique n’ont pas l’habitude du procédé. Surtout, le coût de la mesure pour les administrations n’est pas maîtrisé. En effet, la plupart du temps « les employeurs publics sont en auto-assurance pour la gestion du risque chômage, c'est à dire qu'ils supportent eux-mêmes la charge financière liée au versement de l'ARE en cas de privation d'emploi d'un de leurs anciens agents ». L’absence de véritable mécanisme assuranciel mutualisé pour financer le versement d’une allocation chômage elle-même calculée suivant des règles décidées par l’Unedic, sans aucune participation des administrations concernées, constitue un frein significatif au développement de la rupture conventionnelle des fonctionnaires.

 

Les 1607 heures

Prévu à l’article 47 de la loi, l’alignement de la fonction publique territoriale sur la durée légale du travail de 1607 heures par an a fait couler beaucoup d’encre au cours des deux années écoulées. Rappelons que selon l’ANDRHDT, 57 % des collectivités n’appliquaient pas les 1 607 heures à fin 2019, le temps de travail moyen des agents s’élevant à 1 572 heures. Ce résultat découlait en grande partie du nombre de jours de congés supplémentaires accordé aux agents : nombre de collectivités qui se croyaient en règle, avec des semaines de travail à 35 heures, ont découvert tardivement qu’elles étaient concernées par la réforme.

D’application directe, le texte entraînait l’obligation, pour les communes et EPCI, de mettre en place la durée légale du travail avant le 1er janvier 2022, sur la base de délibérations prises avant le 18 mai ou le 28 juin 2021. Les départements et les régions disposent d’un an de plus pour se mettre en règle.

Le 5 novembre dernier, le ministère de la fonction publique a émis un communiqué de presse où il tirait la sonnette d’alarme au sujet de certaines municipalités qui n’avaient pas encore franchi le pas. On peut y lire que « 80% des communes et intercommunalités ont délibéré ou sont en passe de le faire, pour une application au 1er janvier 2022 », ce qui suppose qu’un cinquième des collectivités concernées n’étaient pas prêtes. La plupart bénéficient d’un recours gracieux du préfet qui doit leur permettre de se mettre en conformité.

Ce chantier très particulier n’est pas encore arrivé à son terme, les départements et les régions devant à leur tour s’aligner sur la durée légale du travail avant le 1er janvier 2023.

 

Nombreux sont les autres apports de la loi du 8 août 2019. Certains ont déjà été abordés récemment (notamment le télétravail et l’égalité professionnelle) et d’autres feront l’objet d’articles à venir. Ce mois de mars a ainsi vu l’aboutissement du vaste chantier du code général de la Fonction publique, que nous aborderons prochainement. L’année 2022 sera également celle des premières élections des Comités sociaux. La loi de transformation de la fonction publique, combinée aux effets de la crise sanitaire, a déjà apporté de nombreux changements dans la gestion des ressources humaines. Mais il faudra sans doute plusieurs années avant d’en mesurer pleinement la portée.

Véronique Tixier
Responsable Veille Légale Secteur Public chez Sopra HR Software
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