CONFORMITÉ RH
L’impact RH de la crise sanitaire dans la fonction publique
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Les secteurs public et privé ont ceci en commun qu’ils venaient tous deux de traverser d’importantes réformes en matière de RH et d’organisation du travail au moment où la crise sanitaire a frappé : le privé avec les ordonnances travail de 2017, le public avec la loi de Transformation du 6 août 2019. Dans les deux cas, la crise aura été le baptême du feu des nouvelles dispositions, qui ont parfois dû entrer en vigueur pendant la crise, souvent avec retard. Dans le même temps, il a fallu improviser et faire évoluer en temps réel les organisations.
Quelle est la résultante de ces réformes et de la crise sur la pratique des RH dans la fonction publique ? La plupart des analyses datent déjà de 2021, lorsque les institutions ont cherché à mesurer l’impact immédiat des confinements sur l’organisation du travail. Les données plus récentes manquent encore, mais nous avons essayé de prolonger les tendances et les questionnements. Au moment où l’état d’urgence sanitaire arrive à son terme (le 31 juillet 2022), il peut être intéressant de se demander ce qui restera des transformations RH issues de la crise.
L’impact immédiat de la crise
Fin 2020 et dans la première moitié de 2021, à chaud, pour ainsi dire, plusieurs enquêtes ont été réalisées pour évaluer l’impact de la crise sanitaire sur les ressources humaines dans le public. Ces études, globalement cohérentes avec les résultats que l’on a rencontrés dans le privé, nous renseignent sur les attentes suscitées pour le « monde d’après » par la gestion RH de la crise.
Le point de vue des DRH/RRH
Selon l’enquête « La crise sanitaire et ses impacts en matière de gestion des ressources humaines », parue début 2021, dans la FPT, 65% des collectivités ont mis en place un plan de continuité de l’activité. 23% l’ont fait suite à la crise, 42% en avaient un déjà prêt. Les grandes collectivités étaient généralement mieux préparées que les petites : elles disposent de services RH plus importants.
Les principaux sujets de préoccupation des collectivités pendant la première année de la pandémie étaient le défaut d’équipements de protection et les consignes contradictoires des autorités. Juste après vient la complexité des règles de l’autorisation spéciale d’absence (ASA). Dans beaucoup de cas, les gestionnaires RH se sont perçus sinon abandonnés, du moins insuffisamment soutenus par les autorités.
La réaction des collectivités a beaucoup dépendu de leur taille. Les plus petites communes ont beaucoup moins souvent placé leurs agents en télétravail que les plus grandes. Cela reflète la nature des métiers, mais aussi sans doute la qualité de l’équipement digital. On retrouve le même effet sur l’organisation des recrutements : les grandes structures ont eu assez massivement recours à la visioconférence et ont donc pu assurer une continuité, les petites non. Parallèlement, les grandes structures ont le plus souvent ressenti un impact financier de la gestion RH de crise, à la différence des petites collectivités. Les sources de dépenses les plus fréquentes ont été la prime Covid (instaurée par 29% des collectivités), le paiement des heures supplémentaires, l’achat d’équipements informatiques et le remplacement des agents absents. Les petites collectivités, ayant eu moins recours au distanciel, ont logiquement été moins impactées.
Globalement, le ressenti des professionnels RH du public a souvent été celui d’une mutation significative de leur métier, davantage encore que dans le privé. Selon l’étude Cegos de juin 2021 relative aux impacts de la crise sanitaire sur les DRH et la fonction RH, 43% des DRH/RRH de la fonction publique estiment que la crise a transformé en profondeur « l’organisation de la fonction RH, en termes de pratiques, de process et d’outils » (contre 31% des DRH/RRH en moyenne tous secteurs). Cet impact n’est pas uniquement positif : 66% d’entre eux constatent que leurs collaborateurs RH ont eu du mal à garder le même niveau de qualité de service dans leurs missions (contre 57% en moyenne).
Et le point de vue des agents ?
Comment les agents ont-ils ressenti la même période ? Une enquête du ministère de la fonction publique réalisée début 2021 nous renseignait sur le vécu de la crise par les agents eux-mêmes, et les conséquences perçues sur leurs conditions de travail. L’un des intérêts de l’enquête était de détailler 10 impacts différents par catégorie de personnel (FPT, FPH, FPE hors enseignants, enseignants), en les comparant aux résultats du privé.
Les principaux résultats étaient les suivants :
- un agent sur deux a ressenti une intensification du travail pendant la crise, ainsi qu’un accroissement des exigences émotionnelles liées au travail. Dans les deux cas, c’était sensiblement plus que dans le privé. Mais cet effet s’explique essentiellement par les réponses des enseignants et des agents hospitaliers.
- un gros tiers des agents a également ressenti un accroissement du contrôle hiérarchique, un gros quart estimait que la conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle s’était dégradée. Là encore, c’était un peu plus que dans le privé, et l’effet s’explique principalement par le ressenti des enseignants.
- Dans l’ensemble des catégories, dans le public comme dans le privé, la crise a apporté des améliorations sur deux points : le sens du travail et l’autonomie. C’est tout particulièrement le cas dans la fonction publique hospitalière.
Globalement, ce qui frappe dans ces résultats, c’est que les impacts sont assez uniformes entre public et privé, si l’on excepte les catégories exceptionnellement impactées par la crise que sont les agents hospitaliers et les enseignants. Une fréquente intensification du travail, un plus fort impact émotionnel, contrebalancés par un retour du sens et des gains en matière d’autonomie.
Ajoutons que selon l’étude Cegos de juin 2021 citée plus haut, la crise aurait rapproché les collaborateurs de leurs managers dans 75% des cas dans la fonction publique (contre 66% en moyenne).
A-t-on les moyens de savoir si ces acquis se sont traduits par des changements durables ?
Le télétravail, un an après l’accord
La crise sanitaire s’est-elle traduite par des modifications durables du cadre juridique et « conventionnel », au-delà des mesures d’exception ? Pour l’essentiel, l’actualité légale et réglementaire des deux dernières années a été caractérisée par la mise en œuvre progressive des mesures de la loi de Transformation. Sans doute la crise sanitaire a-t-elle influé sur le rythme des mesures et parfois sur leur contenu.
Dans le secteur de la santé, le Ségur s’est distingué des autres mesures de crise par le fait que ses dispositions s’inscrivaient pour partie dans la durée, et pas seulement dans le traitement de l’urgence. Les revalorisations salariales, les changements de catégorie (comme celle des aides-soignantes devenues catégorie B sans perte du statut de catégorie active) et les modifications organisationnelles sont pérennes. Mais il s’agit là de mesures sectorielles.
Chronologie : un cadre juridique qui évolue finalement relativement peu
Le principal sujet RH transversal à toute la fonction publique à avoir fait l’objet d’une évolution réglementaire suite à la crise sanitaire est l’organisation du travail, plus précisément le télétravail. Le premier confinement avait fait voler en éclat le cadre prudent posé par la loi Sauvadet du 12 mars 2012 et son décret d’application du 11 février 2011. Celui-ci a depuis été modifié 3 fois, 1 fois avant la crise et 2 fois après.
Rappelons rapidement la chronologie.
- Le décret du 11 février 2016, dans sa version initiale, fixe les grandes lignes du télétravail dans la fonction publique. Il y a deux grandes limites : le télétravail ne peut dépasser 3 jours par semaine (pouvant être calculés en moyenne mensuelle) et le travail à distance doit avoir lieu au domicile de l’agent ou dans un tiers-lieu à vocation clairement professionnelle. Pas question de travailler au bistrot ou depuis sa résidence secondaire. Des exceptions à la règle des trois jours peuvent être accordées pour raison médicale, pour une durée maximale de 6 mois renouvelables une fois, sur avis du médecin de prévention.
- Le décret du 25 juin 2019 apporte une petite modification, en étendant aux personnes en situation de handicap et aux femmes enceintes le bénéfice des dérogations pour 6 mois renouvelables, toujours sur avis médical préalable.
- Le décret du 5 mai 2020, publié pendant le premier déconfinement, apporte des modifications plus substantielles. Le télétravail peu désormais avoir lieu dans un autre lieu privé que le domicile, et donc dans les résidences secondaires. Seuls les lieux publics non professionnels sont exclus. Toujours pas de bistrot J ! Les lieux doivent être précisés dans l’autorisation de télétravail, mais il peut y en avoir plusieurs.
Surtout, la régularité n’est plus imposée. Les agents peuvent avoir recours au télétravail de façon ponctuelle. Il peut s’agir de jours fixes dans la semaine, ou au contraire d’un contingent de jours flottants à prendre par semaine, par mois ou par an. Dans ce cas, l’agent peut même être autorisé à utiliser son propre équipement informatique personnel.
Les dérogations pour les agents malades ou handicapés sont désormais renouvelables sans limites.
Le décret supprime également la durée de validité maximale d’un an pour les autorisations écrites de télétravail. Le droit de saisir les instances de représentation du personnel en cas de refus de l’employeur est étendu aux 3 fonctions publiques (et non plus réservé à la seule FPE). Une certaine souplesse s’installe.
- Enfin, le décret du 21 décembre 2021 a simplifié l’accès au télétravail des femmes enceintes, qui peuvent désormais se passer d’avis médical, et étendu les dérogations aux bénéficiaires du congé de proche aidant, pour 3 mois renouvelables.
À quoi sert l’accord-cadre du 13 juillet 2021 ?
Cette dernière évolution était prévue par l’accord-cadre du 13 juillet 2021 sur le télétravail dans la fonction publique, qui représente donc un exemple d’un accord négocié débouchant sur un texte réglementaire. L’accord a également créé, dans la FPE et la FPH, le principe d’une indemnisation forfaitaire par jour de télétravail, avec un plafond annuel. Pour le reste, l’accord se contente surtout de présenter le cadre existant du télétravail dans la fonction publique. Un décret et un arrêté du 26 août 2021 sont venus donner corps à cette promesse au 1er septembre 2021.
L’accord-cadre n’a donc pas révolutionné le télétravail, mais la méthode est intéressante, du point de vue de l’évolution de la négociation sociale dans la fonction publique. Un accord avec les partenaires sociaux a effectivement entraîné des mesures réglementaires. Celles-ci n’étaient pas simplement suggérées dans l’accord, mais bel et bien annoncées. Et les textes ont été pris bien avant que l’accord soit finalement publié au journal officiel, en avril 2022.
Il est intéressant de remarquer que les circulaires ministérielles, par exemple celle du 21 janvier 2022 qui prolonge le recours à la clause dérogatoire de « situation exceptionnelle » en matière de télétravail, font désormais référence à l’accord et non au décret du 11 février 2016 dont le texte prévoit pourtant bien cette possibilité.
Alors, à quoi sert cet accord ? Moins à faire évoluer immédiatement le télétravail des fonctionnaires qu’à revaloriser la place du dialogue social dans les RH – dialogue social qui est sans doute un des grands gagnants de la réforme et de la crise. Les employeurs des trois versants étaient invités à entamer des négociations sur le sujet avant fin 2021. Pour le moment, le résultat de ces négociations n’a pas fait l’objet d’une publication consolidée.
Le nouveau cadre du télétravail à l’épreuve des faits
Qu’en est-il dans les faits ? Le thème du télétravail dans la fonction publique a été moins exploré que dans le privé et les études globales manquent. Comme dans le privé, cependant, la grande variété des métiers crée une forte inégalité face au travail à distance. Les textes (que ce soit le décret ou l’accord) prennent bien soin de préciser que la pertinence du télétravail se mesure par activités, et non par postes. Un poste peut comporter des obligations présentielles, tout en incluant également des activités « télétravaillables ». Un agent de terrain peut ainsi concentrer tout son temps de travail administratif sur une journée télétravaillée. Par ailleurs, les circonstances peuvent affecter le périmètre de ce qui peut se faire à distance. Quand les locaux sont fermés au public pour une raison ou pour une autre, un agent d’accueil peut tout à fait assurer l’accueil téléphonique de chez lui ou d’un tiers lieu.
Globalement, le télétravail a indubitablement progressé suite à la crise. Une enquête Ipsos de décembre 2021 révèle que les agents des trois fonctions publiques qui télétravaillent occasionnellement représentaient 22% des effectifs avant la crise, et 42% fin 2021. Soit presque deux fois plus. Si on leur demande leurs préférences, ils votent pour à 70%. Les télétravailleurs sont nombreux à avoir déjà tiré les conséquences de ce mode de travail, en réaménageant leur intérieur (37%), en faisant des travaux d’adaptation (19%), voire en déménageant à la campagne (7%) !
Le télétravail est corrélé à des indicateurs managériaux très positifs : les télétravailleurs sont ainsi plus nombreux à estimer qu’on leur fait confiance (75% contre 59% pour les non-télétravailleurs), qu’on encourage leur autonomie (70% contre 60%), qu’ils savent bien ce qu’ils ont à faire et que les tâches sont bien réparties (77% contre 65%).
Enfin, la situation est très contrastée suivant les versants. Les agents de la fonction publique d’État sont nettement plus nombreux à télétravailler au moins deux jours par semaine : 32%, contre 15% dans la territoriale et 9% dans la fonction publique hospitalière. Parallèlement, les agents de la FPE sont satisfaits à 71% des outils mis à disposition pour travailler à distance, contre 56% des agents territoriaux et seulement 37% des agents hospitaliers.
De fait, près des deux tiers des agents de l’État sont au courant de l’existence de l’accord-cadre sur le télétravail, contre moins de la moitié dans la FPT (43%) et la FPH (37%). La nature des métiers y est sans doute pour quelque chose, mais l’on observe que les employeurs et les représentants syndicaux de la FPT et de la FPH ont moins communiqué sur la question.
Allons-nous vers une organisation du travail hybride dans la fonction publique ? Peut-être, mais prudemment. On remarque que l’essentiel des évolutions réglementaires favorables a eu lieu immédiatement après le premier confinement, dans le décret du 5 mai 2020. Aujourd’hui, l’accent est mis sur l’adaptation par chaque employeur des règles rappelées par l’accord. Il reste que les lignes ont bougé, la pratique a évolué et le curseur de ce qui se fait ou pas n’est plus au même endroit.
Comme dans le privé, le travail hybride pose au moins deux questions connexes. La première est celle de l’attractivité. Les employeurs du public s’inquiètent de plus en plus de la crise des vocations, dans un contexte de faible hausse des rémunérations et d’exigences croissantes des candidats. Dans ce contexte, l’offre RH en matière de possibilités de télétravail fait clairement partie des leviers d’attractivité employeur à savoir manier. La seconde question est celle de la qualité de vie au travail, liée à la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle et aux risques psycho-sociaux. Avec le travail hybride, c’est toute une expertise managériale qui est à perfectionner pour tirer le meilleur du télétravail, tout en évitant ses écueils, pour les agents comme pour la collectivité qu’ils servent. Les risques d’isolement, d’hyperconnexion, de perte de sens sont à prendre très au sérieux, à détecter très tôt et à traiter rapidement. Le « monde d’après », dans la fonction publique comme dans le secteur privé, peut réserver le meilleur comme le pire en matière de RH. C’est l’avenir du travail et du service qui continue à se construire.