TENDANCES RH

L’IA au travail : le temps des RH

DeYann Ferguson
17 février 2025

Préface du livre blanc « Quand l’IA s’invite à la table des DRH » par Yann Ferguson, Inria, Directeur scientifique du LaborIA (Inria-Ministère du Travail et de l’Emploi)

 

Au début des années 2010, trois événements technologiques majeurs se sont succédés.

  • 2010 : la Google Car, un véhicule autonome, parcourt des dizaines de milliers de kilomètres sans accident.  
  • 2011 : Watson, une machine conçue par IBM, terrasse deux champions de jeu TV américains à Jeopardy, en langage naturel et dans les conditions du direct.
  • 2012 : à l’occasion d’un concours de vision par ordinateur, un programme de reconnaissance d’images fait passer le taux d’erreurs des machines de 27% à 17%.

 

Ces machines ont en commun de réhabiliter une approche ancienne mais marginalisée de l’intelligence artificielle (IA), le « deep learning », qui rend les machines capables de construire leur propre logique par apprentissage à partir d’un jeu de données. Pour le travail, ces « réseaux de neurones » permettraient de contourner le fameux « paradoxe de Polanyi » : « Nous en savons plus que nous pouvons en dire... ». Ce paradoxe était considéré comme la frontière de l’automatisation de l’expertise humaine : l’incapacité de l’expert à expliciter son savoir-faire se traduisait dans l’impossibilité de le formaliser dans un algorithme. Si l’IA parvient à s’affranchir de cette condition, les barrières historiques de l’automatisation du travail pourraient céder.

 

Les premières études concernant l’impact de l’IA sur l’emploi et le travail ne se font pas attendre. Dès 2013, deux économistes d’Oxford, Carl Benedikt Frey et Michael Osborne, prédisent que 47% des emplois américains sont menacés d’être automatisés d’ici dix à vingt ans. Trois impacts sur le futur du travail se dessinent :  1- L’IA va engendrer de forts gains de productivité ; 2- L’IA va automatiser les routines et les tâches « à faible valeur ajoutée » ; 3- L’IA va déplacer le travail vers des compétences « proprement humaines » : la créativité, l’empathie, l’adaptation, la résolution de problème. Pour les ressources humaines, l’attention doit donc se porter sur les métiers présentant une forte prévalence des tâches répétitives en vue de les accompagner vers ces compétences clés.

 

Près de 10 ans plus tard, Open AI lance une version grand public de son modèle de langage, ChatGPT 3.5, propulsant l’IA au travail dans une nouvelle dimension :

  • Un passage à l’échelle : si moins de 1% des travailleurs français pouvaient témoigner d’une utilisation de l’IA au travail, ils seraient près de 20% aujourd’hui.
  • Un changement de trajectoire : d’initiative d’employeurs, l’IA devient majoritairement une initiative d’employés.
  • Une diversification de la conversation : sujet réservé à un club fermés de grandes entreprises ou administrations, l’IA s’introduit désormais dans toutes les organisations.

 

Ces usages spontanés et souvent clandestins de l’IA se répartissent équitablement entre la quête de gains de productivité et la créativité, l’inspiration, l’innovation, des compétences surtout attendues de la part de travailleurs très qualifiés et/ou en responsabilité. Cela converge avec l’étude publiée par l’OCDE en 2023 : contre toute attente, l’IA a bien plus progressé sur les tâches cognitives, de haut niveau et non répétitives. Et ce sont désormais les dirigeants, les managers et les ingénieurs qui seraient les plus exposés, un tout autre défi pour les ressources humaines ! En outre, on parle moins d’automatisation et de productivité que d’assistance et de production de valeur.

 

Ces assistants supposés faciliter la vie des collaborateurs cumulent des caractéristiques peu ordinaires :

  • Ils utilisent le langage « naturel » sans le comprendre,
  • Ils génèrent des contenus vraisemblables sans considérer la vérité,
  • La qualité de leurs réponses est partiellement déterminée par celle des requêtes, appelées « prompts ».

 

L’expérience pratique est à la fois fascinante et préoccupante : en quelques secondes, l’utilisateur reçoit un contenu globalement pertinent qu’il doit malgré tout évaluer avec attention pour détecter des « hallucinations » qui ne sont pas tant des erreurs grossières que des « illusions sémantiques » : des anomalies ou des incohérences à l’intérieur d’énoncés satisfaisants. 

 

Cette « IA d’assistance » génère de nouveaux enjeux pour les ressources humaines, et ce n’est pas anodin si elles sont souvent à l’initiative des « task forces IA » qui fleurissent dans les organisations. D’abord, les usages spontanés s’installent sur des tâches qui jusqu’à présent reposaient sur le collectif : la recherche d’idées, la révision et l’embellissement d’un texte, la structuration de contenus, etc. Silencieusement, la coopération humain-machine se substitue à la coopération humaine, les liens d’interconnaissance, déjà fragilisés par le télétravail, se distendent. Ensuite, la perception de la qualité du travail, au cœur du sens de l’activité, devient floue. Entre hallucinations et illusions sémantiques, l’effet de contentement, cette disposition à accepter un résultat moyen obtenu à moindre effort, dégrade l’exigence personnelle, l’éthique de travail, qui mène à l’excellence. Enfin, les bénéfices de l’IA ne se répartissent pas équitablement et modifient les rôles professionnels. Une étude Ifop-Talan montre que 70% des utilisateurs de l’IA générative ont entre 18 et 24 ans contre 22% pour les 35 et +. Une seconde nous apprend que 65% des étudiants de grandes écoles estiment que la présence de l’IA générative fera partie des principaux critères de choix de leur future entreprise. Et pour cause, 51% d’entre eux ne peuvent plus s’en passer ! Dans de nombreuses situations en effet, les juniors augmentent leur performance immédiate. Mais pour quelle montée en compétence ? Et quelles seront leurs perspectives d’évolution si leur contribution personnelle devient moins claire ? En effet, l’expérience des séniors est dévalorisée aux yeux de leurs jeunes collègues, et peut-être bientôt ceux de leur direction. Mais l’inverse s’observe également, quand les tâches d’entrée dans un métier, celles qui permettent son apprentissage, s’automatisent.  

 

Collectif de travail, sens du travail et trajectoires professionnelles : des défis qui montrent que l’intelligence artificielle est définitivement entrée dans le temps des ressources humaines. Et qu’il est grand temps de vous plonger dans le Livre Blanc « Quand l’IA s’invite à la table des DRH » ! 

 

 

 

 


 

Yann Ferguson
Docteur en sociologie à INRIA et responsable scientifique du LaborIA
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