CONFORMITÉ RH

L’agenda RH de 2024 dans le secteur public

DeVéronique Tixier
22 janvier 2024

 

De prime abord, l’année 2024 s’engage plutôt calmement en matière de nouveautés RH dans le secteur public – surtout si on la compare au bouillonnement d’activité des années 2019-2022 ou à la décennie 2010. Des réformes déjà engagées vont se poursuivre – notamment l’introduction du montant net social sur le bulletin de paie. La grande réforme de la protection sociale complémentaire se prépare, mais pour 2025. La notion d’ « usure professionnelle » pourrait également commencer à prendre corps, notamment dans la fonction publique territoriale, mais les évolutions en cours ne se traduiront pas sur le terrain avant de longs mois 

L’année pourrait cependant apporter rapidement d’autres nouveautés RH, avec l’annonce d’un projet de loi de réforme de la fonction publique au premier trimestre 2024, vraisemblablement centré sur les questions de recrutement et de progression professionnelle ; sans oublier la probable réforme de la décentralisation qui se dessine. Nous évoquons ici quelques-uns des sujets RH qui rythmeront l’année des employeurs et des agents du secteur public.  

 

Le montant net social : suite 

 

L’année dernière, nous annoncions l’arrivée du « net social » sur les bulletins de paie, au 1erjuillet 2023, avec obligation de déclarer ledit montant en DSN à partir de janvier 2024. Le net social se calcule en retranchant les cotisations et contributions sociales de l’ensemble des rémunérations brutes et des revenus de remplacement. C’est le montant qu’un bénéficiaire du RSA ou de la prime d’activité doit déclarer pour percevoir ses prestations.  

L’obligation d’afficher le montant net social sur le bulletin doit permettre de simplifier les démarches liées à ces dispositifs. Elle prépare sans doute également, via l’intégration à la DSN, une automatisation du traitement ou de l’attribution de ces prestations. Le montant net social doit donc faciliter la vie des agents, notamment pour ceux qui perçoivent un traitement peu élevé susceptible de leur ouvrir des droits à allocations 

 

Une obligation du privé qui s’applique au public 

 

Depuis, comme prévu, un arrêté du 31 janvier 2023 est venu créer l’obligation d’afficher le net social dans le bulletin, tout en définissant ce montant. 

En théorie, l’arrêté ne concerne que le secteur privé. Mais le Bulletin officiel de la Sécurité sociale précise que même si « les dispositions de l’article R. 3243-1 du code du travail [qui définit les rubriques obligatoires du bulletin de paie] et l’arrêté ne s’appliquent pas directement aux employeurs publics », ceux-ci « devront également adapter leurs bulletins de paie pour afficher le montant net social de leurs agents, susceptibles de percevoir des prestations sociales, et ce quel que soit leur statut : fonctionnaires, stagiaires, apprentis, agents contractuels de droit public, agents contractuels de droit privé. » La virgule après « agents » laisse planer le doute quant à l’existence possible d’agents non-susceptibles de percevoir ces prestations, mais en pratique il semble que l’obligation s’applique à tous dans la fonction publique 

 

Un changement de dernière minute sur le calcul du MNS 

 

Tout semblait donc sur des rails : les administrations et collectivités ajoutaient une information « montant net social » en juillet 2023 sur les bulletins ; elles déclaraient ce montant en DSN en 2023 sur la base du volontariat et obligatoirement à partir de janvier 2024. 

Cette chronologie n’a pas été bouleversée, mais un changement de dernière minute est venu compliquer la tâche des responsables paie en ce début d’année. Le mode de calcul du montant net social a en effet été modifié par un décret du 28 décembre 2023. À l’origine, les IJSS versées en subrogation par l’employeur devaient être déduites du montant net social. Ce n’est plus le cas : il faut désormais les intégrer. Par ailleurs, le régime des cotisations de protection sociale complémentaire visant des garanties collectives a changé : elles sont désormais exclues du montant net social, qu’elles soient obligatoires ou non. 

 

La réforme de la protection sociale complémentaire 

 

 

L’accès des fonctionnaires des 3 versants à une protection sociale complémentaire collective co-financée par l’employeur est sans doute le dernier des grands chantiers issus de la loi de transformation de 2019 à se déployer. Ce volet de la réforme représente une avancée considérable pour les agents, qui bénéficieront enfin de cet avantage accordé à tous les salariés du privé depuis 2016. C’est aussi un gros dossier pour les employeurs publics et leurs DRH. Nous aurons l’occasion de revenir sur le sujet au cours de l’année. 

Contentons-nous de rappeler les principaux points de la chronologie : en application de l’article 40 de la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019, une ordonnance a été publiée le 17 février 2021 pour donner corps à ce nouveau droit. Elle crée le principe d’une participation de l’employeur public au financement de la protection sociale des agents, en matière de complémentaire santé (à hauteur de 50% de garanties minimales), mais aussi de prévoyance. 

L’ordonnance a entraîné le lancement de négociations avec les syndicats dans les 3 versants de la fonction publique. Un accord sur la complémentaire santé a été conclu dans la FPE dès mars 2022, puis un autre sur la prévoyance en octobre 2023. Dans la FPT, un accord a été atteint sur la prévoyance le 11 juillet 2023. Les négociations se poursuivent sur le volet santé 

Quoi qu’il advienne, la protection sociale complémentaire santé devra être prise en charge par les employeurs dès 2025 dans la fonction publique d’Etat (contre 2024 initialement), et en 2026 dans les fonctions publiques territoriale et hospitalière. Dans la FPT, le volet « prévoyance » devra être assuré dès 2025. Un texte devrait par ailleurs venir modifier le décret du 20 avril 2022 qui fixait les conditions relatives au financement des garanties : son contenu est très attendu. 

Dans l’intervalle, les négociations autour des garanties qui restent à définir de manière collective continueront à se déployer à diverses échelles – versants, ministères, collectivités, centres de gestion… Dans les deux années qui viennent, elles occuperont une place importante dans l’actualité RH des employeurs publics. Le volet « prévoyance » sera à suivre tout particulièrement : il pourra faire l’objet des propositions RH les plus novatrices. 

 

 

Un fonds de prévention de l’usure professionnelle dans la FPT

Ce n’est pas pour tout de suite, mais les premiers jalons sont posés : un « fonds de prévention de l’usure professionnelle » devrait être mis en place au bénéfice des agents de la fonction publique territoriale. Il pourrait devenir une source de financement pour certaines politiques relevant de la sphère RH dans les collectivités.  

 

Prendre en compte la pénibilité dans le public : d’où vient-on ? 

D’où vient l’idée de ce fonds ? Depuis 2003, chaque réforme des retraites a inclus un volet « pénibilité ». Pour compenser les allongements successifs de la durée d’assurance et/ou l’élévation de l’âge minimal de départ en retraite, les porteurs de ces réformes ont proposé des mécanismes de prise en compte de la pénibilité du travail et de l’usure associée à certains types d’emploi, dans le secteur privé : négociation interprofessionnelle sur la pénibilité en 2003, retraite anticipée pour carrière pénible en 2010, Compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) en 2014 (devenu Compte professionnel de prévention ou C2P en 2017).  

Le point commun de toutes ces réformes est qu’elles ont laissé de côté les fonctionnaires. Dans le public, en effet, la réponse à la question de la pénibilité s’incarne dans le classement de certains emplois en « catégorie active », permettant des départs en retraite plus précoces. C’est même la raison d’être de cette classification, qui remonte au moins au règne de Charles X 

 

2019 : apparition de la notion d’ « usure professionnelle » dans la fonction publique 

La loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019 apporte une première nuance, en introduisant la notion d’ « usure professionnelle » dans les métiers du public. L’article 40 crée ainsi un entretien de carrièreobligatoirement proposé aux « agents qui occupent des emplois présentant des risques d'usure professionnelle ».  

Le décret qui devait préciser les modalités de cet entretien n’est cependant toujours pas paru. Lors des concertations avec les syndicats, il semble qu’un point notamment ait fait débat : celui de savoir dans quelle mesure cette notion d’usure serait rattachée aux emplois concernés (position syndicale) ou individuellement à chaque agent (position gouvernementale). Cette distinction a toujours été au cœur des discussions sur la question de la pénibilité. Pour le DRH, elle a des conséquences importantes : un suivi individuel n’a pas le même impact organisationnel qu’une caractérisation collective de tous les emplois similaires.  

On retrouve les agents soumis à des risques d’usure à l’article 59 de la loi de transformation : ils bénéficient de droits renforcés à la formation. À la différence des entretiens de carrière, ces droits très concrets (conditions préférentielles pour le congé de formation, congé de transformation professionnelle d’un an, accès de droit à certaines formations) sont donc déjà pleinement effectifs.  

 

Nouvelle étape : la réforme des retraites de 2023 

La réforme des retraites d’avril 2023 a cherché, de nouveau, à déployer des mesures de prévention de la pénibilité, en compensation de l’élévation de l’âge de la retraite. Dans le privé, cela s’est traduit notamment par un assouplissement des conditions d’alimentation du compte professionnel de prévention. Par ailleurs, un « fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle » a été créé pour le secteur privé, rattaché à la commission « accidents du travail » de la Cnam.  

Seule la fonction publique hospitalière a bénéficié d’une mesure « pénibilité » dans le cadre de la loi, sous la forme d’un autre « fonds de prévention de l’usure professionnelle » lui aussi rattaché à la Cnam. Mais alors que le fonds destiné au privé a déjà reçu son décret, le texte d’application du fonds dédié aux métiers de santé du public ne semble pas avoir été publié à ce jour.  

Un fonds similaire a été annoncé pour la fonction publique territoriale, parallèlement à la réforme des retraites.  

 

Pourquoi un fonds de prévention de l’usure professionnelle ? 

Les rapporteurs de la mission de préfiguration soulignent que la fonction publique territoriale compte 75 % d’agents de catégorie C et 43% d’agents de 50 ans et plus (et même 49% selon les chiffres les plus récents). Pour une part importante (non mesurée dans le rapport), il s’agit de métiers pénibles physiquement ou exposant les agents à des situations difficiles psychologiquement – notamment des comportements agressifs de la part du public.  

L’enjeu est de prendre en compte cette usure professionnelle de façon préventive, plutôt que dans la logique compensatrice de la classification en catégorie active. Il peut s’agir de formation, d’accompagnement aux transitions professionnelles, d’aménagements de postes…  

La création de ce fonds pourrait être incluse dans le projet de loi de réforme de la fonction publique annoncée pour 2024. À terme, il devrait prendre place parmi les outils de financement et d’accompagnement à disposition des DRH de la fonction publique territoriale.  

 

 

Les évolutions récentes qui impacteront 2024


 

En dehors des réglages autour de latermination du montant net social, quelques textes de la toute fin 2023 auront un impact sur les RH du secteur public en ce début d’année.  

Un décret du 28 décembre 2023 est ainsi venu préciser certaines conditions d’application de la loi du 19 juillet 2023 sur l’égalité femmes-hommes dans les postes à responsabilité de la fonction publique. On y trouve notamment le montant des pénalités encourues, mais aussi des nouveautés sur le détail des emplois concernés. Certes, les nouvelles obligations en matière de répartition des primo-nominations (50% au lieu de 40% minimum par sexe) ne s’appliqueront pas avant 2026 ; et celles relatives à l’ensemble des postes à responsabilité à l’instant t (40% minimum par sexe) attendront 2027. Mais la publication obligatoire des données relatives aux écarts de rémunération femmes-hommeset des actions mises en œuvre pour y remédier le cas échéant s’applique dès janvier 2024 pour la FPE, et à partir du 1eroctobre 2024 dans la FPT et la FPH. Cette mesure s’inscrit donc à l’agenda des DRH du public en ce début d’année. 

Un décret du 26 décembre 2023 a assoupli les conditions de la mobilité interne des fonctionnaires dans les collectivités locales. Il faudra notamment avoir recruté 2 fonctionnaires, et non 3, pour avoir le droit de pourvoir certains postes par la promotion interne. Le décret bouge d’autres curseurs dans le même sens, facilitant la gestion des emplois, mais sans pour autant la simplifier ! 

La prime de pouvoir d’achat prévue pour aider les agents à faire face à l’inflation a normalement déjà été versée aux agents concernés de la FPE et de la FPH, à compter d’octobre 2023. Le décret les concernant remonte au 31 juillet 2023. Pour les agents de la FPT, le décret est paru le 31 octobre 2023, et la prime peut être versée en une ou plusieurs fois d’ici au 30 juin 2024 

Enfin un projet de décret fixe au 1er janvier 2024 la hausse d'un point des cotisations retraite dont s'acquittent les employeurs territoriaux auprès de la CNRACL. En réponse à la demande de la coordination des employeurs territoriaux, ilprévoit également de compenser cette hausse par une baisse identique des cotisations maladie des fonctionnaires territoriaux, mais uniquement au titre de l’année 2024. Le projet ayant reçu du conseil national d'évaluation des normes (CNEN) un avis favorable à l’unanimité le 11 janvier dernier, sa publication prochaine viendra alourdir la prochaine paie d’une mesure rétroactive.   

L’actualité de 2024 : vers une nouvelle réforme de la fonction publique ?

Dans une interview au Figaro du 6 décembre 2023, l’ancienne première ministre Elisabeth Borne annonçait pour février « un projet pour rendre plus efficace l’action publique. » Le projet « prévoira de diversifier les voies de recrutement pour attirer des profils différents et valoriser l’expérience, notamment dans le privé ». Il s’agira aussi de « mieux reconnaître l’engagement et le mérite dans l’avancement et les rémunérations ». Le texte, nous l’avons vu, pourrait également aborder la question de l’usure professionnelle dans les emplois de la fonction publique territoriale. 

Faut-il attendre une grande réforme à l’image de celle de 2019 ? Il devrait s’agir plutôt d’un texte de suivi, une « réforme-relais », à l’image de ce qui va sans doute se passer également dans la formation professionnelle. Certains points de la réforme précédente seront précisés ou approfondis. Nous pouvons nous attendre à une réforme au contenu hétéroclite, avec un accent particulier sur les enjeux de recrutement et de carrière. S’agira-t-il de grands changements structurels, ou plutôt d’une collection de petits mouvements de curseurs, comme avec le récent décret sur la promotion interne évoqué plus haut. 

2024 pourrait également voir l’amorce d’une réforme significative en matière de décentralisation. Eric Woertha été désigné le 6 novembre 2023 pour assurer « une mission temporaire ayant pour objet la clarification de l'action publique territoriale et l'identification de nouvelles pistes de décentralisation ». Dans le même temps, Catherine Vautrin (présidente du Grand Reims) et Boris Ravignon (maire de Charleville-Mézières) ont reçu la mission de rédiger un rapport visant à « évaluer les coûts de l’enchevêtrement des compétences et des normes applicables aux collectivités territoriales ».  

Les premiers mois de 2024 devraient voir à la fois la publication du rapport Vautrin-Ravignon et un « point d’étape » sur la mission Woerth. Que sortira-t-il de la démarche ? On sait simplement qu’il n’y aura pas de suppression d’échelon territorial. Difficile d’imaginer cependant qu’une réforme de la décentralisation n’ait pas de conséquences managériales et RH dans les collectivités.  

 

L’année 2024 s’annonce donc comme riche en nouveautés et probablement en surprises pour la gestion des RH dans la fonction publique – en plus de la gestion des suites des réformes précédentes. Ce dynamisme réglementaire et législatif s’ajoute aux tendances générales qui s’appliquent à l’ensemble du monde du travail : vieillissement relatif des effectifs, crise de l’attractivité, nouvelles attentes en matière de travail, digitalisation, enjeux de la transition énergétique et environnementale… 

Pour y faire face, la fonction publique développe de plus en plus de ressources transverses, avec notamment la mise à jour récente d’un colossal répertoire des métiersde 2500 pages commun aux trois versants, ou encore la publication le 14 décembre 2023 par la DGAFP d’un livret relatif à la promotion interne et aux conditions d’accès à la fonction publique 

2024, ne l’oublions pas, sera également l’année des Jeux Olympiques, avec à la clé d’importants défis RH et organisationnels pour les collectivités et administrations concernées. Beaucoup de défis passionnants en perspectives, qui rappellent, s’il en était besoin, la diversité et l’importance stratégique des expertises RH requises dans le public ! 

 

Véronique Tixier
Responsable Veille Légale Secteur Public chez Sopra HR Software
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