CONFORMITÉ RH
Haute fonction publique : la réforme accélère en 2023
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La réforme de la haute fonction publique, initiée il y a à peine plus de deux ans, a été mise en œuvre à un rythme relativement rapide. Annoncée comme un tournant historique, elle agit sur tous les leviers : le recrutement, la formation, le statut, l’évolution professionnelle, la rémunération. L’objectif semble être d’instituer une sorte de marché du travail unifié de la haute fonction publique, par la suppression des corps, la refonte des mécanismes de carrière et même, dans une certaine mesure, le décloisonnement entre les 3 fonctions publiques. Très avancée dans la fonction publique d’Etat, la réforme progresse également dans les fonctions publiques territoriale et hospitalière. Voici les origines, les principales étapes et les finalités de cette transformation.
La haute fonction publique : une notion ancienne mais aux contours flous
Qu’ils soient sélectionnés par concours comme en Chine impériale ou choisis par l’empereur jusque parmi ses esclaves et affranchis comme dans l’empire romain, les grands serviteurs de l’État existent par nécessité dans toutes les constructions étatiques. Mais cette réalité sociale peut prendre des formes extrêmement différentes, et la haute fonction publique française apparaît comme une création très spécifique.
Une genèse dans les crises
Dans la France de la fin de l’ancien régime, les hauts fonctionnaires sont soit des nobles qui ont acheté une charge, parfois héréditaire, soit des « commissaires » nommés et révocables par le Roi – ces derniers étant les véritables ancêtres des hauts fonctionnaires. La Révolution et l’Empire unifient le statut et mettent fin à la vénalité des charges. Mais c’est entre la fin du XIXe et le milieu du XXe que se met progressivement en place la haute fonction publique à la française : un groupe social restreint composé de spécialistes du secteur public, dévoués à l’intérêt général et indépendants du pouvoir en place.
L’histoire de la haute fonction publique progresse au rythme de la création de ses écoles de référence. Comme le résumait le quotidien Le Monde du 1er janvier 2022 : « A chaque drame national, son sursaut. Le désastre de 1870 a entraîné la création de l’Ecole libre des sciences politiques. Celui de 1940, la naissance de l’Ecole nationale d’administration (ENA). »
En 1848, la 2e République et Hippolyte Carnot avaient déjà lancé une première tentative pour créer une école d’administration « afin de fermer ‘la porte au favoritisme’ dans la fonction publique et ‘d’ouvrir celle des capacités’ ». Celle d’Émile Boutmy, qui fonde au début de la 3e République, l’École Libre des Sciences Politiques, rencontre beaucoup plus de succès. L’objectif affiché est de former les hauts fonctionnaires. Selon l’article mentionné, « dès la fin des années 1870, 80% des reçus au concours du Conseil d’État et 90% à l’inspection des Finances étaient issus de ‘Sciences Po’ ». L’unification et la professionnalisation de la haute fonction publique était en route – de même que la nature particulière de ses liens avec, respectivement, la politique et le monde du privé.
C’est à nouveau après une défaite suivie d’une crise morale et de la fondation d’une nouvelle République que naît l’École nationale d’administration (ENA), créée par l’ordonnance du 9 octobre 1945, sous le Gouvernement provisoire présidé par le général de Gaulle. La finalité était de « refondre la machine administrative française » en démocratisant l’accès à la haute fonction publique via le concours.
Une notion mal définie avant la réforme
Ce n’est donc pas un hasard si Emmanuel Macron, au moment d’annoncer la réforme en avril 2021, rattache sa décision à la crise du Covid : « Comme en 1945, nous vivons un moment historique. Il y a soixante-quinze ans, notre pays, épuisé, sortait de deux guerres avec devant lui le défi immense de la reconstruction. L’ENA fut créée. Nous avons structuré notre haute fonction publique. En 2021, notre pays fait face à une pandémie historique. Notre devoir est de savoir y répondre avec le même sens de l’histoire. »
Mais qu’entend-on exactement par « haute fonction publique » ? Le terme revient souvent, avec sa traduction pseudo-statutaire « fonctionnaires de catégorie A+ ». Il n’existe pourtant pas officiellement de telle catégorie. La notion renvoie indubitablement, pour la fonction publique d’Etat, à celle des « grands corps », autre notion qui n’est codifiée nulle part. Rappelons que traditionnellement, on recense des grands corps techniques (Ponts et chaussées, Mines, Armement, Insee, parfois aussi Telecoms) et administratifs (Conseil d’État, Cour des comptes, inspection générale des finances).
Selon les chiffres cités par le sénateur Pierre-Yves Collombat, dans la position personnelle annexée à son rapport de 2016, « la catégorie A+, hors ‘enseignement supérieur, recherche et assimilés’, regroupe quelques 21 000 fonctionnaires. En revanche, selon l'estimation du G16 auditionné qui regroupe les associations de hauts fonctionnaires, il y aurait en France 11 800 hauts fonctionnaires civils. Le nombre des anciens élèves de l'ENA se montant à 4 000. »
La notion d’encadrement supérieur
Parallèlement à la réforme de la haute fonction publique, la création du code général de la Fonction publique début 2022 a permis une première rationalisation des textes juridiques relatifs aux emplois supérieurs dans les 3 versants. Le livre IV, consacré à la gestion des ressources humaines, comporte en effet un chapitre dédié aux « Emplois supérieurs », réunissant en 3 sections les différents textes relatifs à l’encadrement de haut niveau dans les 3 fonctions publiques (articles L412-1 à L412-9).
La section consacrée à la FPE provient tout entière de l’ordonnance du 2 juin 2021, qui sera détaillée plus bas. Elle est complétée par un décret du 29 avril 2022 qui liste de façon explicite les emplois, corps et fonctions qui entrent dans le périmètre des « emplois supérieurs de l’État ».
La section sur les hauts fonctionnaires de la FPT réunit des textes venus essentiellement de la loi du 26 janvier 1984 (ancien statut de la FPT) mais aussi d’autres lois et codes. La section consacrée à la FPH reprend la loi du 9 janvier 1986 (ancien statut de la FPH).
Il n’est pas encore certain que l’on puisse établir une égalité parfaite entre « encadrement supérieur », « catégorie A+ » et « haute fonction publique ». Mais la réforme va incontestablement dans le sens d’une clarification.
Une réforme RH systémique dans la FPE
La réforme de la haute fonction publique d’État faisait partie des préoccupations du président Emmanuel Macron dès sa première campagne de 2017, comme le rappelle Le Monde : « Je veux renforcer la méritocratie au sein même de l’Etat, pour promouvoir les meilleurs et les plus engagés, et pas seulement ceux qui ont eu les qualités académiques requises à un instant T pour sortir bien classés », déclarait-il alors.
Le président prévoit même d’annoncer la fin de l’ENA le 15 avril 2019… Mais l’incendie du toit de la cathédrale Notre-Dame l’oblige à annuler le discours. Quelques mois plus tard, c’est la crise du Covid qui diffère à nouveau la réforme. Comme évoqué, la pandémie finira par servir précisément de motivation au lancement du chantier. Celui-ci est annoncé à l’occasion de la Convention managériale de l’État, le 8 avril 2021. Au programme, fermeture de l’ENA et suppression des grands corps, hors Conseil d’État et Cour des comptes.
Tout s’accélère alors : le 2 juin 2021 est publiée l’ordonnance « portant réforme de l'encadrement supérieur de la fonction publique de l'État », prise conformément à l’article 59 de la loi de Transformation de la fonction publique du 6 août 2019. Viennent ensuite, de très nombreux textes, parmi lesquels :
- le remplacement de l’ENA par l’Institut national du service public (INSP) au 1er janvier 2022, par un décret du 1er décembre 2021 ;
- la création à la même date de la Délégation interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État (DIESE), sorte de super-DRH de la haute fonction publique ;
- la création par décret du 1er décembre 2021 du corps interministériel des administrateurs de l’État, et la mise en extinction de 15 corps au 1er janvier 2023 ;
- la création en mars-avril 2022, par une série de décrets, de « statuts d’emploi » qui reprennent le périmètre des corps supprimés en ouvrant le recrutement : inspections générales ou de contrôle, sous-préfets et préfets, emplois diplomatiques, finances publiques.
- la mise en place d’une nouvelle grille indiciaire et d’un régime indemnitaire, à partir de 2023.
Extinction des corps : une transition qui ne va pas de soi
Les conseillers économiques et les administrateurs civils ont été intégrés d’office au corps des administrateurs de l’État dès la création de ce dernier le 1er janvier 2022. L’étape suivante a consisté en la suppression en 2023 de 15 corps, qui incluent les différentes inspections (finances, affaires sociales, éducation nationale…), les préfets, les sous-préfets, les diplomates. Depuis le 1er janvier, ces corps n’acceptent plus de nouveaux fonctionnaires. Ceux qui en font déjà partie ont jusqu’au 31 décembre 2023 pour choisir entre rejoindre le nouveau corps des administrateurs de l’État ou rester dans leur corps d’origine. Environ 6 000 cadres sont concernés.
Selon Acteurs Publics, la procédure suscite son lot de perplexité et de résistances car il n’est pas aisé pour les fonctionnaires concernés de discerner toutes les conséquences du changement de corps. Ils ont la garantie de ne pas voir leur rémunération baisser, mais l’évolution de carrière est potentiellement différente.
Dès mars, les chiffres étaient plutôt rassurants : 72% des préfets avaient déjà formulé leur choix dès le 1er janvier, et moins de 10% n’avaient pas choisi de rejoindre le nouveau corps. A la mi-juin, 93% des sous-préfets ont déjà opté pour le nouveau corps inter-ministériel alors que les membres des grandes inspections tardent encore à se décider.
Une révolution RH
L’ensemble de ces mesures dessine, à terme, un nouvel espace de gestion RH des carrières des hauts fonctionnaires d’État. Les parcours tout tracés par corps ont vocation à disparaître, au profit d’une gestion plus dynamique, avec valorisation de l’expérience opérationnelle et des passerelles entre ministères et même entre versants de la fonction publique.
Une circulaire du 20 avril 2022 a ainsi mis en place des lignes directrices de gestion interministérielles dédiées aux emplois supérieurs de l’État. Elles visent à établir « un socle commun de la politique de ressources humaines applicable àl'encadrement supérieur de l'Etat. » Elles priment explicitement sur les lignes directrices ministérielles qu’elles « viennent utilement compléter ».
La réforme inclut également une promotion des mécanismes d’évaluation collégiale, par un décret du 27 avril 2022. Il s’agit de faire un pas de côté par rapport à la chaîne hiérarchique, et de permettre d’apporter un regard extérieur à des moments clés de la carrière des hauts fonctionnaires.
Parallèlement, la création de l’INSP consacre une nouvelle politique de recrutement et de formation, dans laquelle la « prédétermination » du classement initial disparaît, et où apparaît une notion de formation tout au long de la vie.
Avec la création de la Diese s’imposent donc à la fois une vision globale de la gestion RH des emplois supérieurs de l’Etat et une individualisation des parcours et de l’accompagnement.
Enfin, pour faire face à l‘implémentation « SIRH » de la réforme, la DGAFP et le Centre interministériel de services informatiques relatifs aux ressources humaines (Cisirh) ont élaboré un guide d’accompagnement à la réforme de la haute fonction publique. Il vise à expliquer la réforme tout en donnant des clés pratiques pour traduire dans le SIRH les nouveaux grades et les nouveaux emplois fonctionnels créés par la réforme.
Et dans les fonctions publiques territoriale et hospitalière ?
La réforme de la haute fonction publique s’est concentrée pour le moment tout particulièrement sur la FPE, avec notamment la suppression très emblématique de l’ENA, du classement de sortie, des grands corps. Dans la FPH, la loi de transformation de la fonction publique a consacré la possibilité, pour les emplois supérieurs, de s’émanciper des corps. Dans la FPT, il existe déjà une sorte de marché de l’emploi supérieur autour des collectivités. Une logique encouragée par la dimension interdisciplinaire de l’Institut national des études territoriales (INET), qui a précédé d’un quart de siècle la création de l’INSP et joue en quelque sorte un rôle de pionnier. L’harmonisation des pratiques RH entre les trois versants, dans le respect de leurs spécificités, mais aussi l’amélioration de la circulation entre les versants, figurent parmi les prochains horizons de la réforme. Comme dans le privé, la capacité à former et à faire évoluer des dirigeants et décideurs ouverts, agiles et innovants conditionne largement l’avenir des structures publiques et leur aptitude à relever les défis de l’avenir.