Contractuels : où en est-on de la convergence avec les titulaires dans la fonction publique ?

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Dans le grand mouvement d’harmonisation RH qui transforme la fonction publique depuis plus de dix ans, les contractuels occupent une place particulière. Agents publics ne bénéficiant ni du statut de fonctionnaire ni de la protection du code du Travail, ils portent souvent des revendications qui peuvent paraître contradictoires : être titularisés ; recevoir les mêmes avantages que les titulaires ; ou les mêmes avantages que les salariés du privé. Les réformes successives ont apporté des avancées sur ces différents points – la loi Sauvadet de 2012 dans le sens de la titularisation, le loi de transformation de la fonction publique de 2019 dans le sens de la double harmonisation avec les fonctionnaires et les salariés. Où en sommes-nous aujourd’hui d’un point de vue RH ?
Les non-titulaires : une tradition ancienne
Le fait, pour la fonction publique, d’employer des agents non titulaires par contrat n’est pas nouveau, loin de là. En réalité, la part de contractuels dans l’emploi public total a fluctué au fil du temps. Selon les sources, cette proportion s’élevait entre 26% et 30% en 1950, dont 21% dans la fonction publique d’Etat. En 1975-1980, dans la FPE, elle est redescendue à 17%. En 1998, la part de contractuels tous versants confondus s’élevait à 14,4%.
Depuis, la tendance a effectivement été à la hausse, ou plus précisément au rattrapage de la FPT (déjà autour de 20% de contractuels à la fin des années 1990) par la FPE et la FPH. En 2007, la moyenne des trois versants était remontée à 17%, puis à 18% 10 ans plus tard. Enfin, entre 2018 et 2022, cette moyenne est passée de 19% à 22%, en atteignant des niveaux similaires entre versants. Globalement, ces dernières années, la progression des effectifs d’agents publics a davantage été liée aux embauches de contractuels qu’au recrutement de titulaires.
La part des contractuels dans l’emploi public a donc varié au cours des décennies suivant la conjoncture et une variété de facteurs. Le fait de recruter des agents par contrat, souvent pour une durée limitée, a toujours fait partie des pratiques RH des administrations publiques nationales et locales – que ce soit pour assurer des remplacements ou pour gérer les pointes d’activités – bref, pour assurer le volant « flexibilité » d’une masse salariale difficile à adapter du fait de la protection de l’emploi à vie dont bénéficient les titulaires. Avec le risque d’« externaliser » la précarité de l’emploi vers une catégorie d’agents moins protégés.
Le virage de 2018 : de l’exception à l’encouragement
La position des autorités vis-à-vis des contractuels a elle-même évolué au cours du temps. Si l’on s’en tient à la période récente, il apparaît qu’un virage clair s’est opéré à la fin des années 2010.
L’époque « loi Sauvadet (2012) » : promouvoir la titularisation
Votée à l’issue de longues négociations avec les partenaires sociaux, la loi Sauvadet du 12 mars 2012 « relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels » se fixait 2 objectifs dans son étude d’impact : « Apporter une réponse immédiate aux situations de précarité » et « Prévenir la reconstitution d’un volant excessif d’agents non titulaires ». La loi visait entre autres à aider les contractuels à accéder à la titularisation, avec ou sans concours, notamment par un dispositif spécial limité dans le temps. Celui-ci devait être applicable jusqu’à 2016 ; il l’a été finalement jusqu’à 2018. Mais les titularisations ont été relativement peu nombreuses.
La loi comportait également des mesures pour « déprécariser » les contractuels en exercice. L’objectif restait bien de faire du statut de non-titulaire une exception bien régulée et contenue.
Loi de transformation (2019) : faciliter l’embauche de contractuels
Virage à 180 degrés avec la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019. Dès la concertation « Action Publique 2022 » lancée en 2018, le gouvernement annonçait parmi les 4 axes de travail « un recours plus fréquent à l’embauche de contractuels ». L’objectif, désormais, est de pouvoir embaucher plus facilement des agents non titulaires, à davantage de postes.
La loi prévoit ainsi l’élargissement des possibilités de recrutement de contractuels. Les emplois de direction sont désormais éligibles, dans le cadre de contrats à durée déterminée ne pouvant pas déboucher sur une titularisation. Un décret du 1er janvier 2020 en précise les conditions pour la FPE, un décret du 13 mars 2020 pour la FPT, un décret du 31 juillet 2020 pour la FPH. Un contrat de projet de 6 ans maximum est également créé, là aussi sans perspective de titularisation). Un décret du 27 février 2020 en établit le fonctionnement pour les 3 versants. On étend ainsi une catégorie de contractuels « par nature », dont le parcours dans la fonction publique est dès l’abord conçu comme passager.
Parallèlement, la plupart des emplois permanents de la FPE, les emplois des établissements publics, mais aussi une large part des emplois de la FPH et de la FPT, sont ouverts à l’embauche de non-titulaires. Les catégories B et C deviennent accessibles. Il est désormais possible de recruter des contractuels dès lors que le service ou la collectivité n’a pas réussi à trouver un fonctionnaire, ou même, dans la FPE, « pour des fonctions nécessitant des compétences techniques spécialisées ou nouvelles ». Tous les emplois des petites communes (moins de 1 000 habitants) sont accessibles au recrutement de non-titulaires. Tous ces emplois de non-titulaires sont limités à 6 années en CDD ; au-delà, il faut passer au CDI. Cette possibilité existait déjà avant la loi de transformation, mais du fait de l’extension du champ du recours aux contractuels, le champ du CDI s’est étendu dans les mêmes proportions.
Le statut de contractuel cesse donc d’être une sorte d’exception à la titularisation, pour devenir un statut à part entière, partie intégrante de la palette des outils RH de la fonction publique.
Pour autant, le statut de contractuel reste un statut hybride. Pendant longtemps, il n’a eu ni les avantages du privé (protection du code du travail) ni ceux du public (emploi à vie, progression de carrière automatique). Les évolutions récentes visent à améliorer la situation des agents non-titulaires sur ces deux plans.
L’alignement sur le privé
La loi de transformation a conduit à trois évolutions importantes du statut de contractuel, qui les rapproche des salariés du privé. L’un des objectifs de la loi était d’ailleurs de favoriser la mobilité entre les deux secteurs.
- Le recrutement : un décret du 19 décembre 2019 encadre la procédure
de recrutement des contractuels, afin de s’assurer qu’elle respecte les principes de transparence (publication de l’offre, notamment sur Place de l’emploi public), mais aussi d’égal accès de tous aux emplois, de non-discrimination, et de sélection sur la base des compétences et des aptitudes du candidat.
Certains emplois de direction continuent cependant à échapper à cette procédure, mais pour l’essentiel, les DRH des administrations et des collectivités procèdent de plus en plus comme n’importe
quel employeur du privé en matière de recrutement de contractuels. Selon l’étude d’impact de la loi de transformation, ouvrir davantage les emplois permanents aux contractuels supposait « le renforcement
des garanties offertes aux candidats à l’accès aux emplois publics, conformément à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, pour remplir les conditions d’un
recrutement objectif. »
- L’accès au CDI : en dehors des emplois de direction et des contrats de projet, l’accès au CDI est encouragé. La loi de transformation permet désormais des parcours en CDI à travers
les 3 versants (c’est la portabilité). Il est même possible d’embaucher dès le départ en CDI dans toutes les catégories. Une différence majeure avec le privé demeure cependant :
le CDD reste permis pendant 6 ans, contre 3 ans pour les salariés du privé. Ce principe du CDI pour les contractuels remonte à la loi du 26 juillet 2005, votée pour mettre la fonction publique
en conformité avec le droit européen. Auparavant, la notion même de CDI était perçue comme contradictoire avec la nature même du statut de contractuel, prévu pour pallier des manques ponctuels.
- La rupture conventionnelle : cette mesure issue de la loi de transformation et traduite en actes par décret du 31 décembre 2019 relève à la fois de la convergence avec le privé et avec les fonctionnaires, puisque la rupture conventionnelle a été créée simultanément pour les contractuels en CDI et pour les titulaires. Mais pour ces derniers, il ne s’agit pour le moment que d’une expérimentation prévue jusqu’à fin 2025, en principe évaluée par un rapport remis au parlement avant fin 2024. Pour les contractuels, il s’agit d’un accès définitif à un dispositif déjà disponible dans le privé depuis la loi de modernisation du marché du travail du 25 juin 2008. Avec des conditions très proches, et une indemnisation minimale plus favorable que pour les salariés du privé au-delà de 10 ans d’ancienneté.
Tout est donc fait, de plus en plus, pour favoriser des parcours professionnels qui intègrent des passages plus ou moins longs dans le public, afin d’attirer les talents et de flexibiliser les effectifs.
L’alignement sur le public
Par ailleurs, à d’autres points de vue, le statut de contractuel se rapproche de celui des fonctionnaires titulaires. Mais comme le statut de ces derniers se rapproche de celui des salariés, les deux mouvements ne sont pas toujours contradictoires !
- En matière de salaire, la loi apporte quelques grands principes, en précisant que la rémunération des contractuels est « fixée par l'autorité compétente en tenant compte
des fonctions exercées, de la qualification requise pour leur exercice et de l'expérience de ces agents » (article 28) ; c’était déjà inscrit dans la loi pour la FPT, cela est étendu
aux deux autres versants. La loi ajoute un nouveau critère possible : le salaire des contractuels peut dépendre également « de leurs résultats professionnels et des résultats collectifs du
service. » Cette dernière précision constitue en quelque sorte le pendant du Rifseep pour les contractuels. La rémunération de ceux-ci reste cependant le résultat d’une négociation,
dans laquelle la grille indiciaire des fonctionnaires d’expérience similaire et les primes qu’ils perçoivent ne jouent qu’un rôle de référence non contraignante. Pour autant, un employeur
public peut mettre en place une grille indiciaire spécifique aux contractuels, pourvu qu’elle s’applique à tous ceux qui exercent des fonctions comparables ; et un agent contractuel peut contester une rémunération
manifestement inférieure à celle de fonctionnaires effectuant les mêmes tâches, sans raison valable. Tout pousse donc à la convergence des pratiques de rémunération.
- En matière d’avancement, la loi de transformation et les décrets récents n’ont pas apporté de nouveautés. La progression professionnelle et salariale reste du ressort de la politique
RH, encadrée par l’obligation d’une réévaluation salariale envisagée au moins tous les 3 ans. Ce principe remonte respectivement à un décret du 12 mars 2007 dans la FPE, à un
décret du 24 décembre 2007
dans la FPT et à un
décret du 6 janvier 2010
dans la FPH. La réévaluation tient compte de l’entretien professionnel prévu initialement tous les 3 ans et devenu annuel en 2014 dans la FPE, 2015 dans la FPH et 2016 dans la FPT. Selon une décision
de la cour administrative d’appel de Nancy du
16 mars 2023
, il n’est même pas possible d’inscrire dans son contrat l’indexation de la rémunération d’un non-titulaire sur la grille indiciaire des fonctionnaires : une telle clause est illégale.
Il faut donc en passer systématiquement par la procédure RH de l’entretien et de la réévaluation, et/ou par une grille spécifique ; titulaires et non-titulaires restent donc bien séparés
sur ce point, même si un employeur public aura naturellement tendance à rechercher une cohérence entre les deux politiques de gestion des carrières.
- En matière de protection sociale,
contractuels et titulaires continuent à dépendre de régimes différents pour l’assurance retraite et pour l’assurance maladie de base. Mais l’accès obligatoire à la complémentaire
santé s’applique aussi bien aux deux catégories d’agents, dans les 3 versants, et selon le même calendrier.
- En matière de droits à congés familiaux et personnels, un décret du 12 août 2022
a aligné les conditions applicables aux contractuels sur celles des fonctionnaires. Sont concernés le congé parental, le congé sans rémunération pour élever un enfant, le congé sans
rémunération pour convenances personnelles, le congé sans rémunération pour créer ou reprendre une entreprise. Dans le même temps, la protection contre le licenciement associée
à l’accueil d’un enfant est alignée sur celle des salariés du privé.
- En matière de gestion RH et disciplinaire, le même décret aligne les modalités de suspension et de sanction des agents contractuels sur celles qui s’appliquent aux fonctionnaires.
Et maintenant ?
Les évolutions légales et réglementaires des 5 dernières années ont donc considérablement rapproché, d’un point de vue RH, les statuts des agents titulaires et non titulaires de la fonction publique. Et quand ce n’était pas pertinent, c’est-à-dire pour tout ce qui touche au recrutement et à la sortie de contrat, les conditions applicables aux contractuels ont été harmonisées largement avec celles des salariés du privé.
La principale différence reste la carrière elle-même – c’est-à-dire, le recrutement par concours et l’emploi à vie. Il n’est pas à l’ordre du jour de mettre fin à cette distinction. Il est manifeste, en tout cas, que le statut de non-titulaire devient de plus en plus une modalité à part entière de carrière dans la fonction publique.
5 ans après le vote de la loi de transformation, les observateurs ne s’accordent pas sur l’ampleur de son impact sur l’emploi de contractuels. De fait, le mouvement d’augmentation avait commencé avant la loi et ses textes d’application, passant de 17% en 2015 à presque 22% en 2021. Le mouvement s’est en tout cas poursuivi et harmonisé entre les 3 versants. La réforme a, assurément, changé la posture des services RH vis-à-vis des contractuels, considérés de moins en moins comme des exceptions à la règle commune et de plus en plus comme des membres à part entière de la fonction publique. La pratique des RH dans ce contexte devrait tendre naturellement à uniformiser toujours davantage la gestion et l’animation des deux populations – ce qui requiert, de la part des professionnels RH et de leurs outils, un surcroît de connaissance, de compétences et d’agilité !
