CONFORMITÉ RH

Comités sociaux et accords collectifs : un dialogue social rénové dans la fonction publique

DeVéronique Tixier
3 octobre 2022

Début décembre, les fonctionnaires des trois versants vont élire leurs représentants aux nouvelles instances créées ou modifiées par la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019. Au 1er janvier 2023, la nouvelle organisation du dialogue social et de la négociation dans les fonctions publiques sera donc en place.

Parallèlement, le nouveau cadre de la négociation sociale créé, suite à la loi, par l’ordonnance du 17 février 2021 et le décret du 7 juillet 2021 est entré cet été dans sa deuxième année d’existence.

Dans quelle mesure ces évolutions dessinent-elles un nouveau paysage du dialogue social dans la fonction publique ? Nous avons essayé de rassembler ce que l’on peut en dire aujourd’hui.

 

 

Le dialogue social dans la fonction publique : origines

Le dialogue social dans la fonction publique est une réalité relativement récente. Dans le privé, le dialogue social s’est construit historiquement comme une modalité d’encadrement et d’apaisement des conflits sociaux. Il s’est institué comme un espace diplomatique d’échange entre deux forces antagonistes, les employeurs et les salariés, qui chacune disposait de sources de légitimité propres : pour faire court, la « liberté » de la devise nationale pour les premiers, « l’égalité » pour les seconds.

Dans la fonction publique, la question s’est posée différemment. L’État édicte les règles qui s’appliquent aux employeurs ; il édicte également celles qu’il applique à ses propres agents. Au service du public, protégés par le statut, couverts contre le risque vieillesse, tenus à un devoir de neutralité, les fonctionnaires ne sont pas initialement perçus comme légitimes à s’organiser face à leur employeur. Cela ne signifie pas qu’ils ne sont pas organisés pour porter leurs revendications, mais le contexte dans lequel ils l’ont fait est très différent de celui du privé.

L’organisation sociale des fonctionnaires a conquis le « middle management » bien plus rapidement que dans le privé. Elle s’est effectuée de manière indirecte, sous la forme d’associations ou d’amicales, les fonctionnaires n’ayant conquis définitivement le droit de syndicalisation et de grève qu’après la Deuxième Guerre mondiale. La Fédération des fonctionnaires, créée en 1909, et la Fédération des Postiers, ont longtemps gravité autour du monde syndical sans l’intégrer véritablement.

 

Les instances du dialogue social et leurs transformations

Le premier statut des fonctionnaires créé par la loi du 19 octobre 1946 a en quelque sorte « normalisé » la situation des agents de la fonction publique. Ils acquièrent la faculté de se syndiquer et une représentation dans deux types de structures : les commissions administratives paritaires et les comités techniques paritaires. CAP et CTP sont constitués, comme leur nom l’indique, à moitié de représentants des agents et à moitié de représentants de l’administration. L’une comme l’autre sont en fait faussement paritaires, la présidence, occupée par le chef de l’administration ou du service, ayant voix prépondérante.

 

Les Commissions administratives paritaires

Depuis 1946, les CAP n’ont pas changé de dénomination, ni de composition, ni de mode de constitution : les représentants des fonctionnaires sont toujours élus.

Leurs attributions, en revanche, se sont transformées. À leur création, elles avaient compétence « en matière de recrutement, de notation, d’avancement, d’affectation, de discipline, et plus généralement pour toutes les questions concernant le personnel ». Bref, pour un large pan de ce qu’on désigne aujourd’hui par les ressources humaines.

Entre 1946 et 1984, leur rôle a été redéfini et précisé : dans le statut de la FPE de 1984, les CAP « sont consultées sur les décisions individuelles intéressant les membres du corps ».

La loi de transformation de la fonction publique et le décret du 29 novembre 2019 ont limité les compétences des CAP aux cas les plus complexes et aux décisions défavorables aux fonctionnaires. Leur fonction s’est donc considérablement spécialisée depuis leur création.

 

Les Comités techniques

Dans le même temps, les comités techniques ont connu davantage de transformations structurelles, mais ont peut-être moins changé de périmètre de compétence, au moins dans la philosophie. En 1946, ils étaient paritaires et habilités à saisir le ministre de leur administration « des problèmes intéressant l’organisation et le fonctionnement » de leur service. Ils pouvaient proposer des solutions auxdits problèmes et être tenus au courant du suivi de leurs propositions. Dans le statut de 1984 (FPE), leur champ de compétences est à peu près le même, avec l’ajout des questions de statut. En 2010, la liste des sujets est allongée, mais il s’agit toujours de précisions par rapport à la dénomination générale « organisation et fonctionnement des services » : effectifs, emplois et compétences, statuts.

Les comités techniques étaient paritaires à leur création, et le sont restés, au moins dans la FPE, jusqu’à la réforme de 2010. Celle-ci transforme les CTP en CT dans les 3 fonctions publiques, et généralise la pratique de l’élection, déjà présente dans la FPT. Les comités techniques comprenaient aussi des représentants de l’employeur, mais seuls les représentants des agents votaient. La transformation en équivalent public du comité d’entreprise était alors presque achevée. La réforme de 2019 l’a conduite à son terme, et l’élection des Comités sociaux en décembre scellera la convergence.

Parallèlement, les comités « hygiène et sécurité » systématisés par la réforme de 1983-1986 étaient devenus CHSCT depuis celle de 2010. Comme dans le privé, ils réintègrent les comités sociaux et cessent d’être une instance distincte. Plus précisément, au-delà d’un certain seuil d’effectifs, le comité social crée une « formation spécialisée en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail » qui a pour l’essentiel les attributions d’un CHSCT.

 

Les Commissions consultatives paritaires

Créées progressivement au sein des administrations, des collectivités et des établissements pour répondre aux nécessités du dialogue social avec les contractuels, les CCP ont fait l’objet de textes réglementaires entre 2014 et 2016. Elles sont les CAP des agents contractuels. Ce sont les dernières nées des instances consultatives de la fonction publique.

Globalement, la réforme a donc dessiné une nouvelle architecture du dialogue social dans la fonction publique, mais aussi de la gestion RH. CAP et CCP se cantonnent en quelque sorte au rôle d’instances d’appel et d’exception. L’examen des situations individuelles est presque entièrement « DRHisé ». L’essentiel du dialogue sur les questions collectives se concentre désormais dans les Comités sociaux (administratifs dans la FPE, territoriaux dans la FPT, d’établissement dans la FPH), qui sont consultés sur tous les projets de textes ayant un impact sur l’organisation du travail au sens large, et notamment sur les lignes directrices de gestion.

 

Les élections de décembre 2022

Le 8 décembre, ou entre le 1er et le 8 décembre pour ceux qui adoptent le vote électronique, tous les agents de la fonction publique seront appelés simultanément à élire leurs représentants dans ces trois types d’instances. Seuls les titulaires votent pour la CAP ; seuls les agents contractuels votent pour les CCP. Tous, y compris les apprentis et les contractuels de droit privé, votent aux comités sociaux.

Pour la démocratie sociale dans la fonction publique, ce sera le 3e rendez-vous consécutif, après l’unification du calendrier des trois versants par la loi de 2010.

En 2014, 52,8% des 5,2 millions d’électeurs inscrits ont participé au scrutin, soit un peu moins qu’au cours des élections décalées de 2008 et 2011. En 2018, la participation avait reculé de 3 points, passant juste en-dessous de la barre des 50%. Le scrutin de 2022 s’adresse à 5,6 millions d’électeurs, et vise à choisir les représentants des agents dans près de 20 000 instances.

Les élections déterminent également quels seront les syndicats considérés comme représentatifs, et donc habilités à conduire des négociations avec les employeurs publics dans le nouveau contexte de la négociation collective, potentiellement génératrice d’accords normatifs. En effet, pour pouvoir s’asseoir à la table de négociation, il faudra disposer d’au moins 1 élu dans l’instance au niveau de laquelle a lieu la discussion.

La participation sera-t-elle au rendez-vous cette année ? La réforme, les enjeux sociaux de l’ère post-Covid, le développement du vote électronique inverseront-ils la tendance à la baisse observée depuis 2008 ? Le scrutin aura indubitablement valeur de test de la foi des agents en un dialogue social renouvelé.

 

La négociation collective : où en est-on ?

Dans la Gazette des Communes, Christian Vigouroux, co-auteur du rapport qui a inspiré l’ordonnance du 17 février 2021, s’exprime en ces termes : « la négociation se pratique depuis longtemps dans l’administration mais elle ne produisait que des accords à portée indicative. En créant l’accord à portée juridique, opposable aux parties, le législateur reconnaît l’existant. Mais ce faisant, il contribue aussi à favoriser la conclusion d’accords, à responsabiliser les acteurs du dialogue social et à décentraliser la négociation ».

 

Les ajustements du cadre légal

Les accords à portée juridique viennent de naître, et le cadre légal et réglementaire n’est pas encore stabilisé. Le Conseil d’État a ainsi censuré une partie du décret du 7 juillet 2021 sur la négociation sociale dans la fonction publique. Celui-ci réservait en effet l’initiative syndicale de demander la révision d’un accord aux seules organisations signataires de l’accord. En l’espèce, le pouvoir réglementaire a excédé ses prérogatives : rien dans la loi ni dans l’ordonnance ne prévoyait cette limitation.

Mais l’usage déterminera également les modifications à apporter. Dans sa motion votée lors de son congrès de Marseille, le 16 septembre dernier, la Fédération nationale des centres de gestion de la FPT aborde déjà la question du dialogue social avec une proposition très concrète : permettre aux centres de gestion de négocier au nom de toutes les collectivités qui les y habilitent de négocier des accords avec des syndicats. Actuellement ils ne peuvent le faire que pour les collectivités trop petites pour avoir un comité social. Cette proposition, soumise au ministre, va dans le sens d’une vraie professionnalisation du dialogue social, et pourrait aboutir à des accords territoriaux sur des périmètres géographiques pertinents. À suivre donc.

 

Les élections des nouvelles instances de dialogue social de la fonction publique interviennent dans un contexte RH complexe : application des accords télétravail et protection complémentaire, mécontentements sur les 1607 heures, collecte des données en vue du rapport social unique… Les services RH du public ont eu à intégrer au cours des 3 dernières années un grand nombre de changements à un rythme accéléré. Ces élections apporteront-elles l’élan nécessaire à changer la culture du dialogue et de la négociation sociales dans les trois versants de la fonction publique, ainsi que les promoteurs de la réforme le souhaitent ? La participation sera un indicateur à surveiller ; les résultats des élections et les plateformes défendues par les syndicats les plus représentés seront à suivre également. 

Véronique Tixier
Responsable Veille Légale Secteur Public chez Sopra HR Software
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