CONFORMITÉ RH
Lignes directrices de gestion des RH pour le secteur public : tour d’horizon
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Peu connues du grand public, les Lignes Directrices de Gestion (LDG) constituent pourtant l’une des mesures les plus ambitieuses de la loi de Transformation de la Fonction publique. Les LDG bousculent la gestion des carrières, le dialogue social et la stratégie RH des employeurs publics dans leur ensemble. Elles s’insèrent dans une réforme systémique cohérente qui vise à redynamiser des principes anciens dans les trois fonctions publiques : la carrière, le statut, la participation des fonctionnaires. Nous revenons sur la brève histoire des LDG, leurs spécificités et les premiers retours de leur mise en application.
Les lignes directrices de gestion : brève généalogie d’une innovation RH
L’idée d’organiser la politique RH et la gestion des parcours dans les administrations autour de « lignes directrices de gestion » est toute récente. En réalité, dans leur périmètre actuel, qui englobe l’ensemble de la stratégie RH, les LDG ont émergé au cours de la discussion sur la loi de Transformation de la Fonction publique. Mais revenons un peu en arrière.
La force du Statut
Les spécificités des ressources humaines dans la fonction publique sont multiples, mais la principale reste sans doute l’existence du Statut. La principale conséquence RH du Statut, c’est le fait que l’essentiel des règles de la gestion de carrière échappe à la logique contractuelle qui prévaut dans le privé. La loi et le règlement fixent les étapes de la progression, la grille de rémunération, les conditions de la mobilité. La latitude des services RH publics en matière de gestion des parcours est donc limitée, ou plutôt encadrée.
Le rapport Pêcheur
En 2013, Bernard Pêcheur, Président de section au Conseil d’Etat, remettait au Premier ministre Jean-Marc Ayrault son rapport sur la fonction publique. Il y prônait, pour la fonction publique d’Etat, la possibilité pour les chefs de service d’« édicter des lignes directrices par lesquelles ils définissent, sans renoncer à leur pouvoir d’appréciation, les orientations générales qu’ils retiennent en ce qui concerne la gestion des fonctionnaires et agents publics ».
L’idée n’était pas de démanteler le statut, mais de permettre aux administrations d’en gérer l’application sur le terrain, suivant leur propre stratégie RH et les caractéristiques de leurs effectifs. Dans le rapport Pêcheur, l’ambition d’une relative autonomie RH, au sens large, était déjà bien présente.
Un premier pas : la loi de 2016
C’est à la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires qu’est revenu l’honneur d’inscrire les premières lignes directrices RH dans le statut de la fonction publique d’Etat. Les rapporteurs de l’amendement qui introduit cette nouveauté se réfèraient explicitement au rapport Pêcheur et assumaient la volonté d’« asseoir juridiquement » le principe des « lignes directrices de gestion ».
Le grand saut : la loi de Transformation de la Fonction publique
C’est la loi du 6 août 2019 qui a inscrit les « lignes directrices de gestion » au cœur du nouveau dispositif RH des 3 fonctions publiques. Dans le texte initial, elles se limitaient au champ de la mobilité et de la gestion des parcours et des promotions. C’est un amendement de la rapporteure Emilie Chalas qui a élargi le dispositif en lui donnant toute sa dimension RH, en précisant que « Les lignes directrices de gestion déterminent la stratégie pluriannuelle de pilotage des ressources humaines […], notamment en matière de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. »
C’est là l’origine, également, de la dualité constitutive des LDG, qui comportent une dimension « stratégie RH » au sens large et une dimension « gestion des carrières » étroitement liée au statut.
Un décret du 29 novembre 2019 est venu enfin préciser les caractéristiques des LDG dans les 3 fonctions publiques.
Quelques différences entre les LDG dans les 3 fonctions publiques
Dans les textes, il existe quelques différences de périmètre et de règles en matière de lignes directrices de gestion entre les 3 fonctions publiques.
Le périmètre
La principale différence réside dans le périmètre des LDG. Dans les 3 fonctions publiques, celles-ci comportent deux volets :
- Un volet « stratégie pluriannuelle de pilotage de ressources humaines » ;
- Un volet « promotion et valorisation des parcours des agents publics » (art. L. 413-1 du code de la Fonction publique).
Mais dans la fonction publique d’Etat, les lignes directrices de gestion incluent une dimension supplémentaire : les « orientations générales en matière de mobilité » (art. L. 413-2). Les administrations d’Etat étant organisées en réseaux nationaux, la question de la mobilité y revêt en effet une importance toute particulière.
A noter que dans la fonction publique hospitalière, une dimension « mobilité » est également prévue dans les LDG pour les personnels de direction et de direction des soins.
La durée
Les LDG de la fonction publique hospitalière et de la fonction publique d’Etat sont établies pour 5 ans au maximum, celles de la fonction publique territoriale pour 6 ans.
L’organisation
Dans la FPE, il existe une sorte d’emboîtement des LDG. Chaque ministère établit des lignes directrices de gestion globales, et habilite ses différents départements et services déconcentrés à élaborer ses propres LDG. Celles-ci doivent être cohérentes avec les LDG du ministère. Il en va de même pour les établissements publics vis-à-vis de leur ministère de tutelle. Il y a donc une sorte de pyramide à deux étages des lignes directrices de gestion.
Dans la FPT et la FPH, cette pyramide n’existe pas. En revanche, dans la FPT, la partie des LDG qui porte sur la promotion interne est élaborée par le centre de gestion pour toutes les collectivités qui y sont rattachées à titre obligatoire (moins de 350 agents), ainsi que celles qui sont affiliées volontairement et ont délégué au centre de gestion l’établissement de leurs listes d’aptitude.
Les emplois supérieurs de la fonction publique d’Etat
Enfin, pour les emplois supérieurs de la FPE, il existe des LDG interministérielles, édictées par le Premier ministre, et qui ont fait l’objet d’une ordonnance et d’un décret spécifiques.
Derrière l’idée commune, qui consiste à généraliser un outil de planification RH respectueux du statut, les LDG se révèlent donc capables de s’adapter aux différents contextes.
Les LDG et la gestion des parcours
Le volet « gestion des carrières » représente la dimension la plus immédiatement opérationnelle des LDG. « Les lignes directrices de gestion constitueront la ‘doctrine de gestion’ en matière de promotions », peut-on lire dans l’étude d’impact de la loi de Transformation de la Fonction publique. Elles s’insèrent en fait dans une transformation du système de promotion et de valorisation des parcours.
Auparavant, rappelons-le, les commissions administratives paritaires (CAP) examinaient chaque demande relative à la carrière de chaque agent au cas par cas. Depuis le 1er janvier 2021, elles ne jouent plus qu’un rôle de « cour d’appel » pour les situations particulières.
Cette gestion individuelle a été remplacée par une gestion collective, dont les orientations sont fixées par les lignes directrices de gestion. En pratique, l’autorité administrative, appuyée sur son service RH, prend les décisions. Mais celles-ci, au lieu d’être éclairées au cas par cas par l’avis de la CAP, sont encadrées par un document pluriannuel élaboré en concertation avec les partenaires sociaux (par l’intermédiaire du comité social).
En pratique, on peut s’attendre à ce que la méthode confère davantage de latitude aux employeurs publics dans leurs décisions de promotion et de valorisation. Non pas en leur donnant un pouvoir arbitraire, mais en leur permettant d’appliquer des critères plus précis, qui permettent de traduire l’esprit des textes dans le contexte du service ou de la collectivité. Le décret du 29 novembre 2019 suggère ainsi que l’on puisse prendre en compte, pour évaluer la « valeur professionnelle » d’un agent, la diversité de son parcours, les formations qu’il a suivies, mais aussi ses autres expériences professionnelles, y compris dans le privé.
En somme, les LDG doivent permettre de conserver l’esprit du statut tout en en permettant une application souple et intelligente.
LDG et stratégie RH
Sur la dimension « stratégie RH », les textes sont plus vagues. Le décret précise seulement que la « stratégie pluriannuelle de pilotage des ressources humaines » vise à définir les « enjeux et les objectifs » de la politique RH de l’entité publique. Elle doit tenir compte des « politiques publiques mises en œuvre » et de la « situation des effectifs, des métiers et des compétences. » Il peut s’agir de GPEC, de formation, de reconversions…
Sur ce point, les LDG apparaissent donc surtout comme une invitation à réfléchir et à anticiper sur les questions RH qui se posent à l’employeur public. C’est un dispositif de réflexion stratégique et une occasion de dialoguer sur ces sujets avec les représentants des agents.
Les LDG et la rénovation du dialogue social
Les lignes directrices de gestion prennent place dans un contexte de transformation du dialogue social au sein de la fonction publique. Sur ce point, la loi de Transformation a quelque peu rapproché le fonctionnement du public de celui du privé, en créant des rendez-vous obligatoires de l’employeur avec les représentants des agents, sur les questions de stratégie RH et de gestion du personnel.
Les partenaires sociaux perdent donc le pouvoir concret de donner un avis paritaire sur chaque décision de promotion et de valorisation, comme ils le faisaient au sein des CAP. Mais ils gagnent la faculté de contribuer à établir en amont les critères sur lesquels se prennent ces décisions. Par la suite, au moins dans la FPE et la FPT, chaque année, le comité social (d’administration ou territorial) reçoit communication d’un bilan de l’application des LDG en matière de promotion/valorisation, sur la base des décisions individuelles qui ont été prises et des données du rapport social unique.
La mise en œuvre sur le terrain
Comment la mise en œuvre des lignes directrices de gestion se traduit-elle sur le terrain ? Depuis le 1er janvier 2021, tous les employeurs publics sont censés les avoir mises en place, au moins sur la partie promotion et valorisation des parcours.
Dans la fonction publique d’Etat
Pour ce qui est de la FPE, le rapport 2022 sur l’état de la fonction publique tire un bilan globalement positif, il ne comporte toutefois aucun chiffre et donne peu de précisions. On y apprend que les LDG ministérielles « comportent de nombreux principes communs, tels que la valorisation des parcours diversifiés, l’adaptation des compétences aux évolutions des organisations et des métiers, le renforcement de l’accompagnement et l’information des agents. » La DGAFP a veillé à la cohérence des LDG entre elles, en promouvant l’idée de « placer l’agent au cœur du processus de promotion, dans le cadre d’une procédure transparente ».
Même satisfecit sur les LDG mobilité : « Les premiers retours d’expérience indiquent que tant les agents que les organisations syndicales […] se sont emparés de ce nouveau dispositif. Les LDG ont bien renforcé la lisibilité des processus de gestion de la mobilité ».
Par ailleurs, le 20 avril 2022, les lignes directrices de gestion interministérielles, concernant les emplois supérieurs de la FPE, ont été diffusées par circulaire. C’est un document d’une quinzaine de pages qui contient les grands principes de la gestion des carrières de ces personnels.
Dans les collectivités territoriales
Les centres de gestion se sont fortement mobilisés pour aider les collectivités à mettre en place les lignes directrices de gestion. Dès septembre 2020, la fédération nationale des centres de gestion (FNCDG) avait mis en place un guide à destination des CDG pour les aider à accompagner les collectivités, puis plus tard des fiches méthodologiques, des fiches actions…
Une étude du CNFPT parue en juillet 2022 sur la GPEEC dans la fonction publique territoriale permet d’esquisser un bilan plus qualitatif de la mise en œuvre des LDG. L’étude souligne que les lignes directrices de gestion ont été conçues sous pression, en pleine période de crise sanitaire et de renouvellement des exécutifs locaux. En conséquence, leur élaboration « a été peu propice à la définition des axes stratégiques de développement des ressources humaines dans la durée ». Plusieurs collectivités (mais l’étude ne spécifie pas quelle proportion) auraient d’ores et déjà prévu des clauses de revoyure tous les deux ans, pour ne pas se laisser enfermer 6 ans dans un texte.
Les 3 principaux thèmes abordés dans les LDG en matière de pilotage de la stratégie RH sont 1) la maîtrise de la masse salariale et le maintien des effectifs, 2) la gestion des mobilités contraintes et des transitions professionnelles et 3) le développement des compétences.
Viennent ensuite, en fonction des contextes, « l’équilibre des temps de vie (télétravail, 1 607 heures, RTT), la santé au travail et la qualité de vie au travail (QVT), l’intégration des agents en situation de handicap, l’égalité femmes-hommes, l’égalité de traitement et le régime indemnitaire, les conditions d’attractivité de la collectivité, la couverture santé, la protection sociale, les départs à la retraite, l’absentéisme, l’apprentissage… »
Selon l’étude, « les interlocuteurs rencontrés observent que les lignes directrices de gestion ont favorisé une réflexion plus qualitative, moins technique et gestionnaire, qui réhabilite quelque part, l’opportunité des démarches de GPEEC. » La dimension purement gestionnaire et réglementaire de la V1 ne doit pas pour autant faire renoncer à des versions ultérieures plus conformes à l’esprit de la loi. Les lignes directrices de gestion, après tout, sont autant un processus qu’un outil.
Les lignes directrices de gestion représentent une véritable innovation RH dans le secteur public. Sans réel équivalent dans le privé, elles s’efforcent d’insuffler de la stratégie RH et du dialogue social rénové dans les administrations et les collectivités. Les acteurs et notamment les centres de gestion, semblent s’être assez massivement mobilisés autour de ces enjeux. Après une première phase marquée par l’urgence de se mettre en conformité avec la nouvelle loi, l’avenir de la réforme dépendra de la façon dont le nouveau cadre sera vécu et mis en œuvre.