CONFORMITÉ RH

Les ambitions du Plan « Santé au travail » 2022-2025 : où en est-on ?

DeVéronique Tixier
29 septembre 2023

   

Longtemps considérés comme des employés naturellement protégés par leur statut, les fonctionnaires ont tardé à bénéficier d’un système de santé au travail comparable à celui du privé. Des réformes successives ont progressivement comblé l’écart au XXIe siècle, mais il reste encore des traces de cette histoire spécifique. Par ailleurs, l’achèvement de ce « rattrapage » place la fonction publique face aux mêmes défis que le privé : faire face au déclin démographique des médecins du travail, développer la prévention primaire, prendre en compte les nouvelles situations de travail (en particulier le télétravail), affronter les risques émergents (risques psychosociaux notamment). Et d’une façon générale, résoudre la sempiternelle équation : faire mieux avec autant, voire moins de moyens !  


Le premier Plan Santé au Travail pour 2022-2025, initialement prévu pour 2020-2023 et repoussé en raison de la pandémie, a été officiellement lancé le 14 mars 2022. Il prend en compte l’ensemble de ces enjeux et les décline dans le contexte particulier des 3 fonctions publiques. Que peut-on en attendre ? En quoi va-t-il changer le métier des RH dans la fonction publique ? Quelles en sont les prochaines étapes ? 


La santé au travail des fonctionnaires : une histoire récente 

 

Les premières lois encadrant le travail des salariés de l’industrie remontent au XIXe siècle, et la médecine du travail du privé s’est structurée pendant et après la 2e Guerre mondiale. Mais les premiers textes dédiés à la fonction publique ne remontent qu’à 1982.  


Pourquoi ce retard ? Pour une large part, parce que la préoccupation pour la prévention des risques et de la santé au travail est fille de l’industrie. La médecine du travail visait à prévenir et réparer les dégâts humains de l’usine et de la mine. Or, pour l’essentiel, le fonctionnaire travaille dans les services. Longtemps, il est apparu comme préservé des principaux risques qu’affrontaient les salariés du privé au même moment : précarité de l’emploi, dureté physique du travail, horaires à rallonge, absence de retraite. Au-delà de la différence habituelle de chronologie juridique entre public et privé, liée à la nature différente des employeurs, le retard au démarrage du secteur public sur la santé au travail s’explique donc en grande partie par la nature même des emplois et de l’histoire de la santé au travail. 


Un détour par l’histoire de la Santé au travail permettra de mieux saisir les enjeux d’aujourd’hui. 


 

Aux sources : L’hygiène et la sécurité 

Le système français de prévention des risques et de santé au travail plonge ses racines dans les politiques hygiénistes et les luttes sociales du XIXe siècle. Avec, au départ, des ambitions modestes : la loi du 22 mars 1841 interdisait le travail des enfants de moins de 8 ans, et limitait à 8h la journée des enfants de 8 à 12 ans (12h pour les 12-16 ans). Il faudra attendre la loi du 2 novembre 1892 pour que le travail en usine, mine ou atelier soit interdit en dessous de 13 ans, et la loi du 12 juin 1893 pour que l’État légifère pour la première fois sur l’hygiène et la sécurité à destination de l’ensemble des travailleurs de l’industrie. La loi du 9 avril 1898, enfin, crée la réparation des accidents du travail, dans l’industrie mais aussi les grands magasins. Elle institue également les notions d’incapacité totale ou partielle, permanente ou temporaire. 


Dans la première moitié du XXe siècle, la politique d’hygiène et sécurité au travail se bâtit progressivement sur ces bases : loi du 11 juillet 1903 sur l’hygiène et la sécurité dans l’industrie, création du code du Travail en 1910, avec une section « hygiène et sécurité », journée de travail de 8h en 1919, prise en compte la même année des maladies professionnelles…  


Mais il faudra les contraintes de l’économie de guerre pour précipiter la mise en place de la médecine du travail moderne. C’est en effet une recommandation du 9 juin 1940, rédigée en pleine débâcle, qui pose les bases du système, en préconisant la création dans chaque entreprise d’un service médical et d’un comité d’hygiène et de sécurité au travail. C’est sur ces lignes que, sous Vichy, la loi du 28 juillet 1942 officialise la médecine du travail et la rend obligatoire dans les établissements de plus de 50 salariés.  

 

La Médecine du travail, née dans l’adversité 

La loi du 11 octobre 1946 reprend la loi de 1942 dans ses grandes lignes, tout en étendant l’obligation à toutes les entreprises quel que soit leur effectif. En pratique, cependant, tous les travailleurs ne sont pas couverts. Ceux du transport le seront en 1955, ceux des mines et carrières en 1959, les agriculteurs en 1966, les employés domestiques en 1970. Dans la fonction publique, il faudra attendre 1982 pour les fonctionnaires d’État, 1985 pour les territoriaux. 


Certains choix faits dès l’après-guerre ont façonné le débat pour les décennies suivantes.  


  • La médecine du travail n’intègre pas l’architecture de la Sécurité sociale. En particulier, elle n’est pas paritaire : il faudra attendre la réforme de 2011 pour que les syndicats de salariés fassent leur entrée dans la gouvernance. 
  • Officiellement, la médecine du travail a un rôle essentiellement préventif : « éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail ». Mais en pratique, elle s’articule autour de la visite périodique obligatoire, qui par nature s’inscrit plutôt dans une perspective réparatrice. Cette thématique de la prévention reste centrale dans les débats contemporains sur la santé au travail.
  • Le système est fondé sur le médecin du travail, dont les effectifs sont en baisse constante. Cette question est au cœur des réformes récentes, et concerne aussi bien le public que le privé. 


Du décret de 1982 au rapport Lecocq 2 : une trajectoire décalée 



Au moment où les lois Auroux mettaient en place les Comités d’hygiène, de sécurité et de conditions de travail (CHSCT)dans le secteur privé, c’est par voie réglementaire que le gouvernement a réparé l’oubli de la santé au travail des fonctionnaires.  


Une exception réglementaire à la règle du privé 

Le principe général est que la santé au travail, dans la fonction publique, est régie par les principes énoncés dans le code du Travail. Mais des décrets peuvent prévoir des régimes dérogatoires. C’est ce qui s’est passé dans la fonction publique d’État avec le décret du 28 mai 1982, puis dans la fonction publique territoriale avec le décret du 10 juin 1985. Un décret du 16 août 1985 a par ailleurs inscrit dans le code du Travail des dispositions spécifiques aux fonctionnaires hospitaliers.  


Ces textes, modifiés depuis, régissent encore la santé au travail des fonctionnaires des trois versants. Le code général de la Fonction publique comporte désormais un livre VIII consacré à cette thématique, mais seule la partie législative a été publiée à ce jour. À terme, nous pouvons supposer que la future partie réglementaire comprendra l’ensemble des textes pertinents.  


 

Pluridisciplinarité et prévention, maîtres mots des réformes du XXIe siècle 

Entre 1982 et 2023, la santé au travail des salariés du privé a connu de nombreuses réformes. La loi du 31 décembre 1991 a transcrit la directive-cadre européenne de 1989, en mettant l’accent sur la prévention des risques professionnels. L’accord du 13 septembre 2000 entre les partenaires sociaux, repris par la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002, rebaptise les services de médecine du travail en services de santé au travail. L’idée est d’entourer les médecins du travail, en sous-effectif, d’équipes pluridisciplinaires à même de prendre en charge une partie des missions de prévention, de façon plus spécialisée : psychologues, ergonomes, ingénieurs sécurité…  


Le décret du 5 novembre 2001, par ailleurs, crée l’obligation du document unique d’évaluation des risques. L’obligation de prévention trouve là l’un de ses outils de référence. 


La pluridisciplinarité, l’accent mis sur la prévention, le recentrage des visites médicales sur les situations et les publics les plus à risques continueront à structurer les réformes suivantes en 2011 (loi du 20 juillet), 2016 (loi « Travail » du 8 août) et 2021 (loi « Santé au travail » du 2 août).  


 

Dans le public : des évolutions négociées 

Entre-temps, deux accords, en 2009 et en 2013, commencent à mettre de la cohérence dans le dispositif de santé au travail du service public. Ces deux accords concernent les agents des 3 versants.  


L’accord du 20 novembre 2009 porte sur l’ensemble du système de santé et de prévention au travail dans les 3 fonctions publiques. Il s’inscrit dans les débats du moment autour de la prévention, et ajoute des préoccupations spécifiquement « service public », comme la création de véritables services de santé au travail pour les 3 versants. Le protocole d’accord du 22 octobre 2013 traite quant à lui spécifiquement de la question des risques psychosociaux.  


Au milieu des années 2010, la phase de rattrapage du public sur le privé en matière de santé au travail était, dans les grandes lignes, achevée. Lorsque la loi Travail, puis le décret du 27 décembre 2016réforment la santé au travail, le principe d’un décret parallèle pour traduire les mesures dans les fonctions publiques est vite acté. Il faudra attendre le 27 mai 2020 (fonction publique d’Etat) et le 13 avril 2022 (fonction publique territoriale) pour que les textes soient publiés.  


Entretemps, le gouvernement avait confié à la députée Charlotte Lecocq une double mission sur la santé au travail dans le public et dans le privé. Deux rapportsont résulté de ces travaux : un sur le privé, en août 2018, et un sur le public en septembre 2019.  


L’une des propositions du rapport était la mise en place d’un plan santé au travail dans le public, comme il en existe un dans le privé depuis 2004. L’un des effets de ce plan serait de synchroniser les évolutions entre privé et public.  


 

Plan Santé au Travail 2022-2025 

 

La pandémie de Covid-19 est venue bousculer le calendrier. En conséquence, le Plan Santé au Travail de la fonction publique a pris deux années de retard (2022-2025 au lieu de 2020-2023). Mais ce délai aura permis d’une part d’allonger la période d’échanges et de débats, et d’autre part de permettre la prise en compte du nouveau contexte issu de la crise sanitaire, avec toutes les prises de conscience qu’elle a amenées (en particulier sur les risques psychosociaux). 

Les préconisations du rapport Lecocq 

Le rapport Lecocq préconisait un certain nombre de mesures, dont la finalité était à la fois d’élever les services de prévention et santé au travail du public au même niveau de qualité et de couverture que ceux du privé. Il s’agissait également d’harmoniser et de coordonner les services entre les trois fonctions publiques, jusqu’à présent organisées de façon séparée et disparate.  


Parmi les mesures proposées, on trouvait notamment : 

  • Le renforcement de l’inspection de la santé-sécurité au travail,  
  • La simplification de l’obligation du Duerp, par voie réglementaire, 
  • L’alignement du rythme des visites médicales sur celui pratiqué dans le privé (tous les 5 ans sauf exceptions), ce qui passe par le développement des équipes pluridisciplinaires.  
  • La mise en commun de moyens, et la possibilité de faire des partenariats entre acteurs publics et privés pour optimiser la couverture des agents. 
 

Les orientations du Plan Santé au Travail 

Le Plan Santé au Travail présenté par la ministre Amélie de Montchalin le 14 mars 2022 inclut ces thématiques. Il est articulé en 5 axes, 16 objectifs et une trentaine de mesures. 


  • Le document unique fait l’objet de plusieurs propositions visant à systématiser son élaboration et sa mise à jour, qui restent encore trop peu pratiquées. C’est l’un des moyens privilégiés mis en œuvre pour atteindre l’objectif « prévention primaire » (c’est-à-dire en amont des risques). Aucune simplification réglementaire n’est cependant à l’ordre du jour : il n’est question que d’une circulaire, de kits méthodologiques (non parus à ce jour), de valorisation des ressources existantes.  


La formation est l’autre moyen mis en avant pour favoriser la prévention primaire, ce qui devrait se traduire à la fois par des obligations et par des ressources nouvelles pour les RH du public en la matière.  


  • Sur la question du renforcement des pouvoirs de l’inspection de la santé-sécurité au travail, le décret du 20 novembre 2020 contenait déjà un certain nombre de mesures visant à « clarifier » sa mission. Le Plan, sur ce point, apporte peu de précisions.
  •  Au sujet des visites médicales, l’alignement sur le rythme quinquennal en vigueur dans le privé depuis 2016 a été mis en œuvre dès 2020 dans la FPE. Dans la FPT, le décret du 13 avril 2022 fixe une périodicité de 2 ans. La convergence, sur ce point, n’a donc pas eu lieu.
  • Le Plan Santé au travail ne mentionne pas ce point.  Pour ce qui est de la mise en commun de moyens, le Plan n’annonce pas d’évolutions réglementaires majeures, au-delà de pétitions de principe sur le soutien aux métiers de la santé au travail et l’encouragement de la création de services mutualisés. 
  


Le Plan comporte également un axe « Qualité de vie au travail », qui mise essentiellement sur la mise à disposition de ressources documentaires et méthodologiques sur le sujet.  


Le point le plus immédiatement « RH » du Plan est sans doute le 4e axe : la prévention de la désinsertion. On y évoque les « entretiens de carrière » prévus à l’article 40 de la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019 pour les « agents qui occupent des emplois présentant des risques d'usure professionnelle ». Une façon de répondre au fait que la politique mise en œuvre dans le privé, avec le compte professionnel de prévention, n’est pas accessible aux agents du public. Le décret, cependant, prévu pour 2022, n’est toujours pas publié.  


Dans l’immédiat, le Plan Santé au Travail ne semble pas devoir se traduire par une révolution du cadre dans lequel les administrations et les collectivités élaborent leurs politiques de prévention. Du point de vue des services RH du public, le renforcement des obligations et des ressources en matière de formation seront peut-être le point le plus immédiatement perceptible. De manière adéquate, le Plan table sur un développement d’une culture de la prévention primaire et sur l’appropriation des outils existants. Cet accent mis sur les aspects les plus importants de la santé-sécurité des agents peut venir en aide aux services des RH désireux de développer une politique ambitieuse sur ces sujets. Le bilan de ce premier Plan et la mise en place du suivant seront certainement des moments clés dans l’évolution du système de santé au travail du secteur public. 

 

 

 

Véronique Tixier
Responsable Veille Légale Secteur Public chez Sopra HR Software
DÉCOUVREZ NOS SOLUTIONS

Entrez dans la RH du futur