CONFORMITÉ RH

La protection sociale complémentaire et le secteur public

DeCédric Breuiller
27 septembre 2024

L’égalité de traitement entre salariés du privé et du public en matière de protection sociale complémentaire et de prévoyance a indubitablement progressé ces 5 dernières années. L’ordonnance du 17 février 2021 a opéré un revirement total des initiatives antérieures en matière de prise en charge des frais de santé des fonctionnaires. Des échéances proches ont été fixées : en 2026 au plus tard, les agents des 3 versants devraient bénéficier de droits similaires à ceux des salariés du privé. Pourtant, le processus est loin d’être achevé, et il n’est pas certain qu’il ira à terme partout – en particulier dans les fonctions publiques territoriale et hospitalière. Pour les DRH du public, il est essentiel d’anticiper la mise en œuvre de cette petite révolution.  

 

 

D’où vient la protection sociale complémentaire ? 

La notion de protection sociale complémentaire n’a de sens que dans l’architecture de la Sécurité sociale tel qu’elle s’est instituée en France au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.  

 

Dans le privé : du facultatif à l’obligatoire 

Les ordonnances d’octobre 1945, en effet, visaient à créer un système universel fondé sur une logique assurantielle. Mais qu’il s’agisse de retraite ou de maladie, la protection apportée par les régimes dits « de base » s’est vite avérée insuffisante. Pour permettre aux salariés d’améliorer leur niveau de protection, des régimes complémentaires facultatifs se sont créés sur les risques vieillesse, maladie, prévoyance. Par la suite, en matière de risque vieillesse, la complémentaire est devenue obligatoire pour les salariés par la loi du 29 décembre 1972. Pour le risque maladie, le même phénomène s’est reproduit en 2016 : les salariés doivent tous être couverts par une mutuelle santé cofinancée par l’employeur. Pour ce qui est de la prévoyance, le caractère facultatif est demeuré. 

 

En matière de vieillesse comme de maladie, le système des salariés du privé s’est donc structuré en 3 étages. Les deux premiers, régime de base et régime complémentaire, sont obligatoires et financés pour partie par le salarié et pour partie par l’employeur. Il est toujours possible d’ajouter un 3e étage facultatif pour compléter ses garanties, qui prendra la forme d’un produit d’épargne retraite pour la vieillesse ou de garanties complémentaires non prises en charge par l’entreprise pour la santé.  

 

Dans le public : un régime d’exception 

Dès le départ, la protection sociale du public s’est organisée différemment. Dans l’immédiat après-guerre, la fonction publique a refusé de rejoindre la Sécurité sociale universelle. Pour le risque santé, les fonctionnaires choisissent de conserver leurs propres mutuelles, qui vont à partir de 1947 gérer à la fois leur régime obligatoire et leurs régimes complémentaires facultatifs. L’État contribuant au financement de la partie obligatoire, mais aussi de la partie facultative. Aujourd’hui, les fonctionnaires d’Etat dépendent toujours d’organismes mutuels propres pour leur assurance maladie de base.  

 

En matière de retraite, en revanche, la notion de « complémentaire » n’a jamais vraiment eu de sens dans le public. Il existe depuis longtemps des produits de retraite supplémentaire dédiés, de type Préfon. Et le RAFP, créé en 2005, est assis sur une assiette différente du régime de base (les primes).  

 

La fonction publique territoriale et hospitalière a suivi une évolution différente : aujourd’hui, selon les départements, l’assurance maladie de base dépend soit de la CPAM, soit d’une mutuelle. Dans un cas comme dans l’autre, une complémentaire santé peut être souscrite par les agents directement (possiblement auprès de la mutuelle qui gère l’assurance maladie de base quand c’est le cas).  

 

La protection sociale complémentaire a donc depuis l’origine une signification assez différente dans le public et dans le privé. La dimension « attractivité employeur » de la mutuelle santé, notamment, était peu valorisée jusque récemment dans le public, alors qu’elle a toujours fait partie des incitations à proposer une complémentaire santé pour les employeurs du privé. Ces dernières années, cependant, l’Etat et les collectivités ont commencé à se préoccuper davantage de leur marque employeur. L’évolution vers la complémentaire santé obligatoire pour les agents publics s’inscrit dans ce mouvement.  

 

La complémentaire santé obligatoire : une petite révolution dans le public 

L’histoire de la mutuelle obligatoire dans le privé est assez simple. Avant 2016, l’adhésion à une complémentaire santé et à un dispositif de prévoyance faisait partie des avantages que les entreprises pouvaient proposer à leurs salariés, sans qu’aucune obligation ne s’impose à elles. L’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 et la loi du 14 juin 2013 ont ensuite institué la mutuelle santé obligatoire dans les entreprises du privé à compter du 1er janvier 2016. L’employeur prend en charge la moitié de la cotisation nécessaire à couvrir un panier de soins minimum fixé par la loi. Pour la prévoyance, c’est le régime antérieur qui prévaut : l’entreprise peut proposer un contrat comme un avantage attractif – et bénéficie dans ce cadre d’un régime fiscal favorable – mais rien ne l’y oblige.  

 

Loi de modernisation de la fonction publique : tout changer pour que rien ne change 

Dans le public, l’histoire est sensiblement plus complexe. Avant 2007, il n’y avait pas d’encadrement particulier du sujet. L’État, comme nous l’avons vu, versait des aides aux Mutuelles de la Fonction Publique, qui bénéficiaient indirectement aux fonctionnaires qui choisissaient d’y adhérer. La Commission européenne ayant dénoncé ces aides comme des subventions contrevenant « au développement du marché de l'assurance complémentaire maladie », la loi du 2 février 2007 de modernisation de la fonction publique a instauré un système analogue à celui du privé (à l’époque), dans lequel les employeurs des 3 versants de la fonction publique pouvaient participer au financement des complémentaires santé à condition de le faire dans le respect des règles de mise en concurrence.

 

Les trois versants se sont appropriés la loi de façon différente. La fonction publique d’Etat a en quelque sorte reconstitué le système antérieur en incitant les ministères à retenir, sur appels d’offres, un ou des organismes de référence, auquel des subventions étaient alors versées. La fonction publique territoriale a développé un système plus centré sur l’agent, mais avec deux options différentes (une liste nationale d’organismes labellisés ou des accords locaux, à adhésion obligatoire ou facultative, entre collectivités et organismes). La fonction publique hospitalière n’a rien mis en place de particulier (au-delà de la prise en charge des soins sur le lieu de travail, qui existait déjà).  

 

Deux rapports IGAS/IGA/IGF faisaient le point sur ce système en juin 2019 (un pour la FPE et la FPT, un pour la FPH), pour en constater les limites. Une deuxième vague de référencements d’organismes venait d’être effectuée dans la FPE (en 2017), augmentant le nombre de mutuelles retenues et introduisant une certaine confusion. Pour les 3 versants, les rapporteurs faisaient des propositions qui relevaient surtout de l’adaptation de l’existant.  

 

La complémentaire santé obligatoire : une transformation du système 

La loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019 allait rebattre entièrement les cartes, en renvoyant à une ordonnance le soin de « redéfinir la participation des employeurs » des trois versants « au financement des garanties de protection sociale complémentaire de leurs personnels ainsi que les conditions d'adhésion ou de souscription de ces derniers, pour favoriser leur couverture sociale complémentaire ».  

 

L’ordonnance en question fut celle du 17 février 2021, qui introduisait dans la loi (puis dans le code général de la fonction publique) la participation obligatoire des employeurs de la fonction publique à la protection sociale complémentaire santé de leurs agents, à hauteur de 50% d’un panier minimum garanti – comme dans le privé. Mais, à ce stade, sans obligation d’adhésion pour les agents.  

 

Dès l’abord, l’ordonnance institue une différence entre les versants : les dates d’entrée en vigueur ne sont pas les mêmes, et la FPT reçoit en plus l’obligation de contribuer à hauteur de 20% aux garanties prévoyances souscrites par les agents. En outre, la mise en œuvre est renvoyée à des accords à négocier, dans le nouveau cadre de dialogue social institué par l’autre ordonnance du 17 février 2021, relative à la négociation et aux accords collectifs dans la fonction publique. C’est là que les choses se compliquent ! 

 

Mise en œuvre de la PSC : le bal des textes 

Dire que l’institution de la mutuelle santé obligatoire dans les entreprises privées s’est faite facilement serait sans doute réécrire l’histoire. Mais entre le vote de l’ANI et l’entrée en vigueur de la loi, il se sera écoulé un peu moins 3 ans pendant lesquels les branches et les entreprises ont conduit les négociations nécessaires. Dans le public, la transition s’annonçait dès le départ plus complexe. Après la loi et l’ordonnance, des décrets, des accords, et encore des décrets, sont nécessaires pour que la mesure entre en vigueur. Différemment suivant les 3 versants, qui n’ont pas les mêmes échéances (2025 pour la FPE et la prévoyance dans la FPT, 2026 pour la FPH et la santé dans la FPT). Et tout est loin d’être fixé.  

 

Trois étapes sont en effet nécessaires dans l’idéal pour déployer la réforme : 

  1. Une première vague de décrets pour fixer le régime qui s’imposera par défaut en l’absence d’accord collectif ; 
  2. Deux accords collectifs dans chaque versant, un pour la santé, un pour la prévoyance ;  
  3. Une 2e vague de décrets et éventuellement de lois pour transcrire les accords.  

Pour le moment, seule la FPE a franchi les 3 étapes. La FPT en est à l’étape 1 pour la santé, 2 pour la prévoyance. La FPH est toujours sur la ligne de départ.  

 

Fonction publique d’Etat : un processus très avancé 

La fonction publique d’État apparaît comme le bon élève en matière de traduction en actes de l’ordonnance. Dès le 8 septembre 2021, un décret tirait les conséquences provisoires de l’ordonnance en instituant à partir de 2022 une contribution obligatoire des administrations à la mutuelle santé des agents qui en ont souscrit une – fixée à 15 €.  

 

Pour organiser la suite des événements et préparer l’échéance du 1er janvier 2025 prévue par l’ordonnance (2024 initialement), l’État et les fédérations syndicales signaient le 26 février 2022 un accord interministériel sur la complémentaire santé, transcrit réglementairement par le décret du 22 avril 2022. Les règles en matière de complémentaire santé sont ainsi fixées : à compter du 1er janvier 2025, les administrations de l’État sont tenues de mettre en place des contrats collectifs, d’adhésion obligatoire, pour les risques maladie, maternité et accident, et de prendre en charge 50% de la cotisation.  

 

Un second accord collectif, sur les garanties de prévoyance, a été conclu le 20 octobre 2023. Le décret qui le transcrit a été pris le 4 juillet 2024. Les administrations devront donc, à partir du 1er janvier 2025, proposer un contrat de prévoyance à leurs agents, couvrant les congés de longue maladie et de grave maladie, l’invalidité d’origine non professionnelle et le décès. L’adhésion sera facultative, et la participation de l’employeur est fixée à 7 €.  

 

Des accords ministériels ont par la suite été conclus pour appliquer les 2 accords collectifs FPE à chaque administration. Pour l’essentiel, tout semble donc assez clair côté FPE, du point de vue du cadre légal. La mise en œuvre dans les temps ne sera pas facile pour les services concernés, mais elle paraît maîtrisée. 

 

Fonction publique territoriale : le flou règne 

Dans la FPT, il en va bien différemment. Un décret a bien été pris le 20 avril 2022 (plus d’un an après l’ordonnance) pour fixer les conditions par défaut :  

  • 15 € minimum remboursés à l’agent pour son contrat de mutuelle santé à partir de 2026 ;  
  • 7 € minimum remboursés à l’agent pour sa prévoyance à partir de 2025. 

 

Pour le moment, l’agent peut toujours adhérer soit individuellement à un contrat, soit collectivement dans le cadre de sa collectivité si celle-ci le propose. Cette dernière peut rendre l’adhésion obligatoire, mais ce n’est pas systématisé. En somme, c’est l’organisation issue du décret du 8 novembre 2011, pris pour l’application de la loi de modernisation sociale de 2007, qui continue à prévaloir. Avec seulement une participation forfaitaire obligatoire de l’employeur en plus. 

 

Un accord collectif a cependant bien été conclu le 11 juillet 2023, mais il porte essentiellement sur le volet prévoyance. Il est prévu que les collectivités mettent en place dès le 1er janvier 2025 des contrats de prévoyance à adhésion obligatoire ou facultative, dont la cotisation serait prise en charge à hauteur de 50 % (et non plus 20 % ou 7 €) par l’employeur. Mais à ce jour, aucun texte n’est venu traduire cet accord dans la loi ni le règlement, en dépit du délai de 6 mois fixé dans le texte. Les projets avancés par le gouvernement ont fait l’objet de fortes critiques des représentants syndicaux et des représentants des employeurs. Le projet de décret soumis en décembre 2023 à l’avis du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT) prévoyait ainsi de ne pas transcrire dans la règlementation l’adhésion obligatoire des agents à un contrat de prévoyance, un point pourtant prévu explicitement dans l’accord collectif. Les échanges avec la DGCL se sont poursuivis, mais sans aboutir à ce jour.  

 

Il était également prévu que les ajustements législatifs nécessaires seraient intégrés à la nouvelle loi de réforme de la fonction publique annoncée par Stanislas Guérini au printemps 2024. Mais l’adoption rapide d’une telle loi dans le contexte actuel semble désormais largement compromise.  

 

Par ailleurs, la fixation des modalités pour la complémentaire santé est renvoyée à des discussions ultérieures, censées avoir lieu au 2e semestre 2024 et au 1er semestre 2025. Si un accord est conclu, il faudra en outre une transcription légale.  

 

Le 4 juin 2024, les signataires de l’accord collectif du 11 juillet 2023 ont publié une Foire aux Questions qui fait le point sur les obligations des employeurs et les droits des agents dans la FPT en matière de prévoyance et de complémentaire santé. La FAQ part du principe que l’accord sera retranscrit dans le droit par un décret approprié pris dans les temps. Le site service-public.fr, pour le moment, s’en tient cependant aux règles antérieures à l’accord, de façon plus réaliste.  

 

Fonction publique hospitalière : statu quo 

Dans la FPH, pour finir, aucun décret ni accord n’a commencé à transposer l’ordonnance du 17 février 2021 dans les faits. Pour le moment, le seul changement qui interviendra en 2026 sera la prise en charge obligatoire par l’employeur de la moitié de la cotisation de complémentaire santé nécessaire à couvrir les garanties minimales. L’employeur pourra faire de même avec la prévoyance s’il le souhaite. Comme dans la FPT, l’adhésion à un contrat individuel ou collectif (s’il y en a un) continuera à être facultative, sauf dans le cas où l’établissement aura mis en place un contrat collectif à adhésion obligatoire.  

 

 

Les agents de l’État devraient donc bénéficier dès 2025 d’un régime de complémentaire santé analogue à celui des salariés du privé (adhésion obligatoire, contribution de l’employeur). Dans la FPT et la FPH, en revanche, rien n’est moins sûr. Dans le contexte actuel de fortes tensions budgétaires, l’extension à tous les agents d’une contribution obligatoire des employeurs risque fort de rencontrer des résistances du côté des autorités – et la longue absence de gouvernement n’arrange pas le processus de décision. Les services RH des collectivités et des hôpitaux vont probablement continuer à fonctionner suivant l’ancien système, avec pour seul changement un accroissement de leurs charges à compter de 2025 et 2026 (suivant le versant et le type de protection financée), hausse réelle mais probablement moindre que prévu. L’avenir du système de protection sociale complémentaire est donc loin d’être joué aujourd’hui.  

Cédric Breuiller
Responsable offre secteur public
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