CONFORMITÉ RH
L’égalité professionnelle dans la haute fonction publique
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La promotion de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes continue à suivre deux cheminements parallèles dans le privé et dans le public. Dernier épisode en date : la loi du 19 juillet 2023 impose la parité dans les primo-nominations aux emplois de la haute fonction publique et instaure un « index de l’égalité professionnelle » largement calqué sur celui que la loi « Avenir professionnel » du 5 septembre 2018 avait créée dans le privé. Mais où en est-on concrètement aujourd’hui ? Et quelles sont les conséquences pour les services RH du public ?
Une longue histoire parallèle
Les quotas de femmes dans les instances dirigeantes et la mesure rigoureuse de l’égalité professionnelle sont les deux dernières étapes d’un long parcours vers la féminisation du travail. L’histoire commence par la conquête du simple droit, pour les femmes, d’accéder à un nombre toujours croissant de postes et d’emplois. Elle se poursuit par l’instauration de mesures incitatives pour promouvoir l’égalité des genres dans l’ensemble des professions. Elle s’achève – pour le moment – sur la mise en place de mesures contraignantes pour faire de ce droit un fait.
Une évolution inachevée
On connaît le rôle de la Première Guerre mondiale dans l’accès des femmes à un plus grand nombre d’emplois, pour faire face aux pénuries d’hommes partis à la guerre. Sur le long terme, cependant, la part des femmes dans la population active est demeurée un peu au-dessus d’un tiers du début du XXe siècle jusqu’aux années 1970, avant de monter à presque la moitié aujourd’hui. Mais c’est surtout la composition de l’emploi féminin qui a changé : en 1982, les femmes ne représentaient encore que 21% des cadres et professions intellectuelles supérieures, contre 42% en 2019, selon l’Insee.
Toutefois, cette progression est loin d’être uniforme, et la fonction publique, grâce notamment à la forte féminisation de l’enseignement, tire les chiffres vers le haut. Les femmes ne comptent encore que pour 23% des ingénieurs et cadres techniques de l’entreprise (Insee), et au total pour 37% des cadres du privé, selon les chiffres de l’Apec.
Rappelons que, dans le privé, sur le déficit de 24% des rémunérations des femmes par rapport aux hommes, 10 points s’expliquent par le temps de travail (les femmes travaillent davantage à temps partiel) et 10 points par le type de travail exercé (la part inexpliquée étant de 4%).
Dans la fonction publique, ces chiffres sont moindres. Dans les ministères, l’écart est de 11%. A temps de travail égal, c’est 9%, et à temps de travail et métier égal, 2%. Dans la fonction publique territoriale, les résultats sont un peu moins bons : 14% en écart brut, 9% à temps de travail égal, 5% à âge, cadre d’emploi et temps de travail égaux. Un point commun : dans le privé comme dans le public, c’est bien le profil de carrière et d’organisation du travail qui est responsable de l’essentiel des différences de traitement.
La conquête du droit au travail public
Le travail des femmes n’est pas nouveau dans la fonction publique. La Poste, pionnière en la matière, confie des responsabilités aux femmes depuis l’Ancien régime. Vers la fin du XIXe siècle, la bureaucratisation de l’administration s’accompagne de l’accès d’un nombre croissant de femmes aux emplois de bureau.
C’est au lendemain de la Grande guerre que les positions de cadres commencent à s’ouvrir aux femmes dans la fonction publique, avec l’accès au grade de rédacteur. L’entre-deux-guerres voit l’intensification du combat pour la rémunération égale et l’accès à tous les emplois. Il faudra attendre la Libération pour que le Statut de la fonction publique du 19 octobre 1946 impose l’égalité et institue le principe suivant, dans son article 7 : « Aucune distinction pour l’application du présent statut n’est faite entre les deux sexes sous réserve des dispositions spéciales qu’il prévoit ». L’année précédente, l’ordonnance du 9 octobre 1945 créait l’École Nationale d’Administration, à laquelle les femmes avaient explicitement accès, là encore « sous réserve des règles spéciales d’admission à certains emplois ».
Du partage du travail à la non-discrimination
Bien sûr, tout restait encore à faire. Pour beaucoup, la carrière féminine dans la haute administration n’était pas considérée comme compatible avec la vie de famille. L’évolution conjointe des mentalités et du cadre légal allait changer ce contexte dans les décennies suivantes.
Après-guerre, une différence s’institue entre privé et public en la matière : dans le public, en principe tout au moins, un grade égal donne droit à un même traitement. Les inégalités qui persistent entre hommes et femmes sont intégralement dues à la carrière et au temps de travail. Dans le privé, c’est la loi du 22 décembre 1972 qui institue le principe « à travail égal, salaire égal » : « Tout employeur est tenu d’assurer, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes ». Le principe s’applique explicitement aux contractuels de droit public (article 4). Toutes les mesures contractuelles et conventionnelles encore existantes qui contreviendraient à ce principe sont considérées comme nulles. La loi du 11 juillet 1975, ensuite, proscrit la discrimination à l’embauche en raison du sexe (ainsi que de l’origine, la situation de famille, etc.), et interdit de licencier ou de refuser d’embaucher une femme en raison de son état de grossesse.
Le 13 juillet 1983, le même jour que le nouveau statut des fonctionnaires (qui réaffirme le principe de non-discrimination dans la fonction publique), est votée la loi Roudy qui reprend et systématise les avancées des lois précédentes. Elle crée aussi le principe du « rapport de situation comparée », l’ancêtre, en quelque sorte, de l’index professionnel. Chaque année, l’employeur doit présenter au comité d’entreprise un rapport « sur la situation comparée des conditions générales d’emploi et de formation des femmes et des hommes dans l’entreprise. » L’objectif est désormais non plus l’égalité juridique mais l’égalité des chances.
La loi Génisson du 9 mai 2001 institue l’obligation de négocier sur le sujet dans l’entreprise. Celle du 23 mars 2006 prévoit des négociations obligatoires devant amener la suppression des différences de rémunération. Mais c’est dans les années 2010 que, dans le privé comme dans le public, la législation entre dans la 3e phase : les mesures contraignantes.
Une volonté d’agir de façon structurelle
Deux leviers se mettent en place dans le privé, puis dans le public, pour amener des changements concrets dans les organisations. Le premier est celui des quotas de femmes dans les instances dirigeantes ; le second est la mesure des inégalités, associée à des pénalités financières en cas d’efforts insuffisants pour les résorber.
Les quotas : de l’incitation à l’obligation
Les quotas sont d’abord institués dans le privé dans les conseils d’administration et de surveillance par la loi du 27 janvier 2011. Les grandes entreprises cotées devaient compter 20% de femmes dans ces instances en 2014, 40% en 2017. L’idée était qu’en féminisant les conseils d’administration, les nominations parmi les cadres dirigeants suivraient. En pratique, cela ne s’est pas produit. D’où la décision de franchir un pas supplémentaire : l’obligation d’employer 40% de femmes parmi les cadres dirigeants, instituée pour 2030 par la loi du 24 décembre 2021, sous peine de pénalités financières (jusqu’à 1% de la masse salariale).
Dans le public, une évolution similaire a été actée. En lieu et place de la féminisation des conseils d’administration, le levier initialement employé a été la féminisation des jurys de concours. Dans les deux cas, le calcul consiste à agir sur la population prescriptrice. Dès 2000, le gouvernement Jospin avait mis en place un Comité de pilotage pour l’égalité d’accès aux emplois supérieurs. À la suite de la loi Génisson de 2001, un décret du 3 mai 2002 fixait un objectif (non contraignant) d’au moins un tiers de femmes (ou d’hommes) dans les jurys de concours administratifs.
Au moment même où s’instituait le principe des quotas dans le privé, en janvier 2011, paraissait le rapport de Françoise Guégot sur l’égalité professionnelle homme-femme dans la fonction publique. La députée préconise notamment de porter les quotas de femmes dans les jurys à 40% et de les étendre aux 3 versants de la fonction publique. C’est chose faite avec la loi Sauvadet du 28 mars 2012 et le décret du 10 octobre 2013.
Mais féminiser les jurys ne suffit pas : c’est la juste répartition des hautes fonctions, dans une fonction publique majoritairement féminine mais encore largement dirigée par les hommes, qui est désormais dans le viseur. Là encore, la loi Sauvadet définit le principe, développé ensuite par la loi de transformation du 6 août 2019. Le 30 novembre 2018, un accord sur l’égalité entre les femmes et les hommes dans la fonction publique est signé entre l’Etat et les partenaires sociaux et ses préconisations sont en grande partie reprises dans la loi de transformation. Parmi celles-ci, l’extension et la systématisation de l’obligation d’inclure au minimum 40% de femmes dans les nouvelles nominations à des emplois d’encadrement supérieur, dans les trois versants. L’objectif est atteint et dépassé en 2020, avec 43% de femmes nommées à ces emplois.
La mesure des inégalités
Dans le privé, plus que la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les hommes et les femmes (instituant l’accord ou le plan d’action obligatoire sur le sujet pour les entreprises de 50 salariés et plus), c’est la loi « Avenir professionnel » du 5 septembre 2018 qui propose l’avancée la plus significative sur la mesure des inégalités. Elle crée le principe de l’index d’égalité hommes-femmes, un indicateur composite que chaque entreprise d’au moins 50 salariés doit publier chaque année avant le 1er mars. En cas de score insuffisant, l’entreprise doit annoncer des mesures correctrices. Les contrevenantes peuvent se voir imposer des sanctions financières, fixées là encore à un maximum d’1% de la masse salariale.
Aucun dispositif similaire n’était prévu, en revanche, dans la fonction publique.
Voilà donc où en étaient les législations respectives du privé et du public jusqu’à l’été 2023. Examinons à présent les nouveautés apportées dans la fonction publique par la loi du 19 juillet 2023.
La parité dans les instances dirigeantes
En juin 2022 paraît un rapport sénatorial visant à tirer les leçons de 10 ans d’application de la loi Sauvadet. Ses travaux inspireront le projet de loi sur la parité dans la haute fonction publique, qui sera déposé fin 2022 et adopté le 19 juillet 2023. Parmi les remarques du rapport sénatorial figure le fait que les quotas de primo-nomination ne suffisent pas à rattraper rapidement le retard en matière de représentation des femmes dans les postes à haute responsabilité de la fonction publique. « Si le nombre de personnes nommées pour la première fois est faible, à la fois par rapport à l'ensemble des nominations, et par rapport à l'ensemble des emplois concernés par le dispositif, alors la vitesse de renouvellement du nombre de femmes en fonction est faible et le dispositif peine à faire évoluer la féminisation des emplois à court et moyen termes. En outre, les femmes nommées ne restent pas nécessairement en fonction. »
Résultat : « la proportion de femmes occupant un emploi supérieur au sein du ministère de l'Intérieur ne s'élève qu'à 32 %, au ministère de la Culture 31 % et au ministère de l'Économie et des Finances 27 %. Ainsi, quatre départements ministériels (Affaires étrangères, Armées, Économie et finances et Services du Premier ministre) ont dû s'acquitter en 2020 de pénalités financières à hauteur de 1 080 000 € pour ne pas avoir respecté les obligations paritaires. » Même constat, en pire, dans la FPT : on ne compte alors que 20% femmes parmi les DGS et 15% parmi les DGST. Dans la FPH, où 75% des agents de catégorie A sont des femmes, il n’y a que 27% de directrices d’hôpital.
Pour y remédier, la loi, et le décret du 28 décembre 2023 qui met en œuvre ce point, agissent sur trois leviers :
- L’élévation du quota de femmes dans les primo-nominations aux emplois supérieurs : on passe de 40% à 50%, en 2026 dans la FPE et la FPH, entre 2026 et 2028 dans la FPT. Dans la FPE et la FPH, lorsque les employeurs sont trop loin de la cible, ils pourront l’atteindre par incrémentations de 3 points tous les 3 ans.
- L’extension du champ des emplois concernés : chefs de service et chefs de pôle dans la FPH, cabinets ministériels et du président, et 800 emplois supplémentaires dans les établissements publics.
- La création d’un nouveau quota « en stock » : à compter de 2027, les administrations devront compter, à l’instant « t », au moins 40% de femmes parmi les postes à responsabilité. Celles qui sont le plus éloignées de cet objectif devront augmenter de 3 points de pourcentage d’ici 2027, puis 3 points tous les trois ans jusqu’à atteinte de l’objectif.
Auparavant, les employeurs dont la proportion de femmes parmi les emplois supérieurs dépassait déjà 40% pouvaient se permettre des primo-nominations déséquilibrées sans encourir de sanctions financières. Ce mécanisme, qui permettait une détérioration de la parité, a été supprimé : il n’y a plus d’exonération de pénalités.
Si les mesures sont appliquées rigoureusement, la parité dans la haute fonction publique devrait donc logiquement se concrétiser dans les années à venir.
Un index synthétique
La création d’un index de l’égalité femmes-hommes, sur le modèle de celui qui existe dans le privé depuis 2019, est l’autre grande nouveauté de la loi du 19 juillet 2023. L’index ne cible pas uniquement la haute fonction publique, mais le décret du 5 décembre 2023, qui en fixe les conditions d’application pour la FPE, comporte deux critères qui la concernent : c’est le nombre de femmes dans les 10 meilleures rémunérations (comme dans le privé), et la part des femmes dans les 10% d’agents supérieurs les mieux rémunérés.
Les autres critères sont en partie repris, également, de l’index du privé, avec les adaptations de rigueur. L’écart global des rémunérations entre hommes et femmes en fait partie, décliné pour les titulaires et pour les contractuels. Là où l’index du privé suit les écarts en matière d’augmentation et de promotion, l’index du public suit respectivement les promotions de corps et de grade.
Un critère de l’index privé est absent de son équivalent public : c’est le nombre de salariées qui reçoivent une augmentation à leur retour de congé maternité. En revanche, le champ d’application s’apparente bien à celui du privé : les employeurs publics qui gèrent au moins 50 agents sont concernés. De la même manière, les administrations dont les scores sont trop bas devront mettre en œuvre des actions pour améliorer leurs résultats, sous peine de sanctions financières. L’index s’impose à la FPE depuis janvier 2024, et s’appliquera dans la FPT et la FPH le 1er octobre 2024 (les décrets sont à paraître).
L’index a suscité des réserves parmi les employeurs du privé en raison de la charge de travail associée. En principe, cependant, après un temps d’adaptation, sa production devrait pouvoir être largement automatisée. C’est bien sûr un chantier important pour les DRH du public et leurs prestataires RH.
La directive européenne sur la transparence salariale, votée en mai 2023, devrait cependant entraîner une révision de la composition de l’index d’égalité femmes-hommes. La transposition de la directive était jusque récemment prévue pour 2025 et faisait l’objet de discussions entre l’Etat et les partenaires sociaux. Un rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes a été publié sur le sujet le 7 mars 2024. Un certain nombre de pistes sont envisagées. On parle notamment d’introduire la notion d’emplois de « valeur égale », de reprendre les sous-indicateurs prévus par la directive pour mesurer les écarts de rémunération, ou encore d’automatiser le calcul de l’index qui serait confié aux pouvoirs publics. Des indicateurs sur le temps partiel pourraient être ajoutés.
Ces modifications concerneront-elles uniquement l’index du privé, ou seront-elles étendues immédiatement au public ? Il est trop tôt pour le savoir, mais il est difficile d’imaginer que les deux index n’évoluent pas simultanément.
En matière de parité professionnelle dans la fonction publique, c’est donc désormais une logique de résultats qui prévaut. Après avoir promu des politiques d’incitation et de dialogue, les administrations comme les entreprises ont été soumises à partir des années 2010 à des politiques volontaristes de rattrapage. Dans la fonction publique, la question de la représentation féminine dans les hautes fonctions est particulièrement symbolique, les effectifs globaux étant majoritairement féminins. L’image d’une armée de femmes dirigée par des hommes ne doit pas survivre aux premières décennies du XXIe siècle. Les mesures mises en place entre 2012 et 2023 devraient durablement changer la physionomie des instances dirigeantes des trois versants de la fonction publique, et les DRH en seront les premiers maîtres d’œuvre.