TENDANCES RH

L’attractivité et la marque employeur dans la fonction publique

DeVéronique Tixier
31 mai 2024

Pendant longtemps, la carrière dans la fonction publique attirait sans effort les candidatures de tous niveaux. Le prestige, la sécurité de l’emploi, les avantages RH et retraite tenaient lieu de marque employeur. Ces 20 dernières années, cependant, le nombre de candidats aux concours s’est effondré, tandis que l’ouverture croissante aux contractuels plaçait le service public en concurrence directe avec le marché de l’emploi du privé.  

 

Dans le sillage de la loi de transformation d’août 2019, les autorités ont entamé un travail ambitieux d’amélioration de l’attractivité des employeurs de la fonction publique. L’actuel ministre Stanislas Guérini en a même fait l’un de ses chevaux de bataille. Où en est-on ? 

 

 

La crise des vocations dans la fonction publique 

 

« En 25 ans, le nombre de candidats qui se présentent aux concours de l’État a été divisé par trois » : c’est le constat fait par les autorités sur la page de présentation de choisirleservicepublic.gouv.fr, la marque employeur de la fonction publique lancée début 2023. Dans le même temps, la part des contractuels est passée, entre 2017 et 2022, de 17% à 22% de l’ensemble des effectifs des trois versants. Entre-temps, la crise sanitaire a révélé les attentes nouvelles des actifs. La fonction publique se retrouve confrontée à la même crise de l’attractivité que les entreprises privées, sans toujours disposer des outils RH pour l’affronter.  

 

Le recul du concours 

 

Quels sont les différents éléments de cette crise ? Est-elle avérée ? Comment en mesurer l’ampleur ? Pendant longtemps, la carrière dans la fonction publique a été synonyme de privilège et de stabilité. Elle incarnait également une voie d’ascension sociale et d’intégration, grâce à la neutralité républicaine. La déclaration des droits de l’Homme de 1789 précise ainsi que « Tous les citoyens étant égaux [aux yeux de la loi], sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ». 

 

Il ne faut pas oublier cependant que le recrutement par concours, par lequel ce principe d’égalité républicaine a été finalement traduit en actes, n’a été généralisé qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. C’est la création du premier statut général de la fonction publique, en 1946, qui a fait du concours la voie principale d’accès au service public. Et il faudra attendre les lois de 1983-1986 pour que le principe soit étendu aux fonctions publiques territoriale et hospitalière.  

 

Dans une France marquée par l’insécurité de l’emploi, à compter du milieu des années 1970, on ne trouve guère de traces d’efforts de communication de l’Etat et des collectivités pour attirer les vocations – à l’exception de l’Armée, qui conduit des campagnes de publicité « modernes » depuis au moins la fin des années 1980.  

 

Le XXIe siècle, cependant, a vu un retournement de conjoncture. Les rapports de la fonction publique ne donnent malheureusement de données consolidées que pour la FPE, mais les chiffres sont saisissants. En 1997, on comptait 16 candidats par poste ouvert à concours. En 2007, on était déjà descendu à 12. En 2021, il y avait moins de 6 candidats par poste. En 25 ans, la sélectivité des concours a donc été divisée par presque 3. Avec des écarts significatifs entre concours : on passe ainsi de 3,3 pour les professeurs de lycée à 9,7 pour les secrétaires administratifs.  

 

Résultat : en 2019, 2020 et 2021, 8% des emplois ouverts via concours par la fonction publique d’Etat n’ont pas été pourvus, soit par désistement des candidats retenus, soit par insuffisance des résultats, soit encore par manque de candidats.  

 

Dans la fonction publique territoriale, le nombre de candidats par poste s’est élevé à 5,8 en 2019, soit à peu près le même chiffre que dans la FPE. Selon un rapport du Sénat, le nombre de candidats aux concours organisés par les centres de gestion a baissé d’un tiers entre 2014 et 2017. La même tendance s’observe dans la FPH. Par ailleurs, une part considérable des candidats admis à concourir ne se présente pas le jour de l’écrit (la moitié dans la FPT en 2022).  

 

L’essor des contractuels 

 

Le concours n’attire donc plus autant les actifs. Dans le même temps, la part des contractuels dans les effectifs augmente. Une part importante d’entre eux étant en contrat court, l’essentiel de l’activité de recrutement de la fonction publique se concentre désormais sur cette population. Sur les 490 000 personnes entrées au service de la fonction publique en 2021, 360 000, soit 73%, étaient des contractuels. Seuls 17% des nouveaux arrivants étaient des titulaires recrutés sur concours. 

 

La population des contractuels recrutés est plus jeune (34 ans en moyenne, contre 38 pour les titulaires), mais aussi plus mobile. 306 000 personnes entrées dans la fonction publique en 2021 en sont sorties la même année. Il s’agit bien sûr très souvent de CDD courts, répondant à des besoins ponctuels des services concernés. Mais cette rotation rapide montre à quel point les fonctions publiques sont entrées dans une logique de recrutement et d’attractivité qui concernait jusqu’à présent essentiellement le privé. Les contractuels, qui existaient auparavant surtout dans la FPT, sont désormais présents au même taux (22% environ) dans les 3 versants : la FPE et la FPH ont rattrapé la territoriale.  

 

 

Les nouvelles attentes des actifs 

 

Les études qui se sont multipliées après la crise sanitaire varient dans le détail, mais l’évolution générale est claire : selon l’enquête « Great Insights 2024 » de Great Place To Work parue en début d’année, les Français citent comme les 4 principales raisons de rester ou non en poste, la rémunération, le sens du travail, l’équilibre vie personnelle/vie professionnelle, l’intérêt des missions. La rémunération fait ainsi son grand retour, l’inflation aidant, parmi les grandes motivations invoquées par les actifs pour rester en poste ou postuler un emploi. 

 

Les notions de fidélité, de vocation et de sécurité de l’emploi s’estompent donc derrière une conception plus contractuelle de la relation à l’employeur. Avec des attentes importantes en matière de conditions de travail et en particulier de flexibilité. Sur tous ces points, la fonction publique n’est pas forcément à son avantage. Les pouvoirs publics en ont pris acte, et ont commencé à réagir. 

 

 

 

Un travail transversal sur l’attractivité de la fonction publique d’État 

 

L’impulsion de la loi de Transformation 

 

La loi de Transformation de la fonction publique du 6 août 2019 constitue à la fois un aboutissement et un point de départ en matière de réforme du recrutement dans le public. Son axe 2, « Développer les leviers managériaux pour une action publique plus réactive et plus efficace », vise à élargir le recours aux contractuels et à moderniser le management en conséquence. Les 4 autres axes cherchent tous, entre autres, à aller vers une gestion des ressources humaines plus dynamique et plus en phase avec les attentes des actifs. Un objectif déjà présent en filigrane dans les attendus du plan Action Publique 2022, lancé en 2017.  

 

Pour exploiter les avancées de la loi, la DGAFP a conduit dès 2019 une « étude de prospective interministérielle et de comparaison avec les pratiques du secteur privé en France, en Europe et à l’international », dans l’objectif de réaliser « un panorama des pratiques inspirantes en matière de transformation de la fonction recrutement et de sa professionnalisation ». Ledit panorama, publié en 2020, constitue une sorte de manuel de l’application des nouvelles techniques de recrutement à la fonction publique (en l’occurrence d’État). On y trouve les principes suivants : 

 

  • La notion de « marque employeur » appliquée au public. Il s’agit ici de « donner la meilleure image possible de l’Etat employeur, en mettant notamment en avant ce que l’administration peut offrir à ses agents en termes de qualité de vie au travail, d’action sociale, de nouvelles formes de travail, d’environnement professionnel, de diversité, d’accès à la formation » …  

  • La gestion, le référencement et le recensement des compétences 

  • L’outillage technologique et conceptuel du recrutement ;  

  • La professionnalisation des recruteurs ; 

  • L’intégration des nouveaux arrivants (ou onboarding). 

 

Le rapport, cependant, se contente d’inventorier l’existant et de la classer dans une grille de lecture modernisée. Il laisse aussi entrevoir une limite possible de l’action publique dans ce domaine : le risque est grand de pousser à se doter de solutions nouvelles et à communiquer sur les facteurs d’attractivité de la fonction publique en l’état, en négligeant l’essentiel : améliorer l’attractivité ! 

 

Un foisonnement d’études et de concertations 

 

Les initiatives se multiplient par la suite. Dans la continuité du rapport, un groupe de travail animé par la DGAFP et le ministère des armées a conduit un travail interministériel pour créer une boîte à outils « onboarding » au service de la fonction publique, disponible dès la fin 2022.  

 

En octobre 2021, Amélie de Montchalin, alors ministre de la Transformation et de la fonction publiques, confie à Philippe Laurent (CNFPT), Corinne Desforges (IGA) et Mathilde Icard (association des DRH de grandes collectivités) la réalisation d’un rapport sur l’attractivité de la fonction publique territoriale, remis le 2 février 2022. Il comporte 27 propositions, au premier rang desquelles figure la revalorisation des rémunérations.  

 

Fin 2021, la DGAFP engage, avec l’aide de l’Union européenne, un travail avec l’OCDE sur le sujet de l’attractivité, qui débouche en avril 2023 sur la publication de 2 rapports sur la question : un sur un état des lieux dans 4 régions françaises, un sur les bonnes pratiques RH à déployer pour améliorer le recrutement et la fidélisation dans la fonction publique.  

 

D’autres acteurs encore publient des travaux sur le sujet. Le dernier en date est celui du Sénat (28 mars 2024), qui se concentre sur la fonction publique territoriale. Mais le CNFPT a également réalisé un rapport sur les métiers territoriaux en tension, paru en décembre 2023. La Fondation Jean Jaurès s’est intéressée, quant à elle, à l’impact du prix du logement sur l’attractivité des métiers de la fonction publique, dans une note publiée en février 2024.  

 

Enfin, le successeur d’Amélie de Montchalin, Stanislas Guérini, entend faire de l’attractivité de la fonction publique une de ses priorités. C’est dans cette optique qu’il lance en juin 2023 le programme Fonction Publique +, une grande consultation des agents sur leurs conditions de travail. Les résultats doivent servir, notamment, à alimenter le projet de loi qui devrait être déposé à l’automne 2024, et dont l’attractivité employeur devrait être un des axes forts. 

 

 

La marque employeur du secteur public 

 

La mobilisation est donc à son comble sur le sujet de l’attractivité. Mais quels sont les leviers à disposition de l’État d’une part, des employeurs publics d’autre part, pour améliorer la situation ?  

 

Un gros effort de communication a été mis en œuvre. Début 2023, la plate-forme « marque employeur » du service public, choisirleservicepublic.gouv.fr, est opérationnelle. Il ne s’agit pas seulement de centraliser les offres d’emploi et les concours ouverts, mais aussi de communiquer sur les métiers et les avantages de la fonction publique, en en donnant une image moderne et engagée.  

 

Dans cette quête de l’attractivité, le public utilise tous les outils développés dans la sphère RH du privé, et investit tous les hauts lieux de la HR Tech et du recrutement. En 2024, on retrouve ainsi la fonction publique à Sant’Expo, le salon des métiers de la santé et du médico-social ; un pavillon du numérique de l’État est présent au salon VivaTechnology ; la fonction publique accueille également des stagiaires de seconde, pour susciter des vocations et commencer à inscrire très tôt le public comme un avenir professionnel possible… 

 

Dans le même temps, des ressources spécifiques au public sont déployées : le site choisirleservicepublic.gouv.fr lui-même, mais aussi les salons régionaux de l’emploi public. Plus structurant encore, le nouveau répertoire des métiers du public, commun aux trois versants, a été mis à disposition par la DGAFP dès l’automne 2023. 

 

En 2024, les DRH du public disposent donc d’une grande variété d’outils et de ressources pour déployer une politique d’attractivité employeur. Il reste à se retrouver dans leur profusion, et à les mettre au service d’une stratégie cohérente. 

 

 

Les pistes et leviers d’action 

 

Au-delà de la communication, quels leviers peuvent être actionnés pour améliorer l’attractivité des emplois publics ? Lors de l’examen du budget 2024, Stanislas Guérini a évoqué « 3 piliers » de l’action dans ce domaine : la rémunération, les conditions de travail, les blocages réglementaires et institutionnels.  

 

La rémunération 

 

La rémunération reste le premier critère de sélection dans la plupart des études de motivation des candidats. Or, les salaires restent en retrait dans le public par rapport aux fonctions équivalentes dans le privé. Une étude de l’Insee a montré que les revenus avaient augmenté deux fois plus vite dans le privé que dans le public entre 2011 et 2021. Dans ce domaine, cependant, la marge de manœuvre des employeurs du public reste limitée. L’assouplissement des possibilités de primes à la performance pourrait peut-être aider à déployer une politique de rémunération plus attractive et plus incitative. Mais l’ensemble du système reste assez rigide.  

 

Un autre levier possible est celui des avantages hors salaire. Une piste évoquée par la Fondation Jaurès serait de jouer sur le logement, qui représente une part très importante du budget des actifs. Les employeurs publics pourraient ainsi cotiser au 1% logement, comme ceux du privé, et mettre en valeur leur propre patrimoine immobilier ; ou encore rationaliser l’indemnité de résidence.  

 

Mais un autre avantage hors salaire pourra être mobilisé plus rapidement : c’est la participation de l’employeur à la protection sociale complémentaire. Celle-ci, rappelons-le, est déjà obligatoire pour les salariés du privé depuis 2016. La loi de transformation a posé les bases d’une obligation similaire dans le public, qui devra être opérationnelle en 2025 dans la FPE et en 2026 pour la FPT et la FPH. Au-delà des grands accords déjà conclus, les employeurs auront la possibilité de signer des accords qui fixent des conditions plus ou moins avantageuses en matière de complémentaire santé et de prévoyance. Il y a là le moyen de réparer ce qui restait l’un des principaux désavantages de la fonction publique sur le privé, et d’accroître significativement l’attractivité des emplois publics.  

 

Les conditions de travail 

 

Sur les conditions de travail, le budget 2024 affichait des lignes dédiées, par exemple pour financer des crèches à l’usage des agents. L’amélioration du cadre de travail et la meilleure conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle font partie de l’arsenal des entreprises privées pour améliorer leur attractivité ; les employeurs publics peuvent les imiter, jusqu’à un certain point. 

 

Globalement, cependant, le management reste le principal déterminant de la qualité de vie au travail. Or, selon les études (notamment celle du Sénat), le service public est perçu comme souffrant d’un management trop hiérarchique. C’est peut-être le principal enjeu de marque employeur pour la fonction publique. L’assouplissement des règles, par exemple en matière de flexibilité horaire, de télétravail ou de mobilité, n’est cependant pas entièrement à la main des managers du public, qui restent contraints par une réglementation souvent plus rigide que dans le privé.  

 

Les blocages réglementaires 

 

Les deux premiers piliers identifiés par Stanislas Guérini semblent donc, dans une certaine mesure, liés au 3e, celui des blocages réglementaires et institutionnels. Beaucoup a été fait, ou au moins dit, pour donner davantage d’autonomie et de liberté aux managers et DRH du public dans la définition de leur stratégie. Mais beaucoup reste encore à construire. C’est le sens des propositions avancées par le ministre, autour de la suppression des catégories A, B, C et de la facilitation des licenciements. On peut penser également au régime du télétravail, qui reste plus contraint dans le public que dans le privé.  

 

Pour autant, toutes les réformes du monde ne remplaceront pas une nécessaire acculturation de tous aux nouvelles approches centrées sur l’agent, l’autonomie et la confiance.  

 

Le travail lancé dans la continuité de la loi de 2019 sur le thème de l’attractivité employeur de l’État pourrait bien, à terme, jouer un rôle moteur dans la transformation RH des 3 fonctions publiques. Pour que cela soit le cas, il faudra cependant que l’action publique ne s’en tienne pas à plaquer des discours RH sur la réalité existante. Le risque serait de partir du principe que le secteur public est attractif par défaut, sans chercher à améliorer l’« expérience agent ».  

 

Les candidats, aujourd’hui, ne se laissent pas abuser : ils tendent à quitter rapidement les organisations qui ne tiennent pas leurs promesses. La logique d’attractivité et de marque employeur sera vertueuse dès lors qu’elle poussera les structures à s’améliorer et à évoluer pour mieux tenir compte des attentes des agents.  Ce qui pourra passer par l’initiative des RH et des managers, par le dialogue social, mais aussi par l’évolution légale et réglementaire.  

 

Véronique Tixier
Responsable Veille Légale Secteur Public chez Sopra HR Software
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