CONFORMITÉ RH

L’organisation des temps familiaux : focus sur les congés maternité et parentaux

DeVéronique Tixier
15 juin 2021

La gestion des temps familiaux fait l’objet depuis longtemps d’une législation complexe et évolutive, répondant à des enjeux qui ont fluctués avec le temps. Il a été question successivement de limiter le travail féminin, puis de le développer, de favoriser la natalité, de concilier temps familial et temps de travail, et plus récemment d’équilibrer les charges familiales entre pères et mères. Dans tous ces mouvements, les cadres légaux du public et du privé se sont souvent suivis dans le temps sans se confondre. Ils convergent aujourd’hui, mais des différences demeurent. Congé maternité/paternité, congé parental, congé d’allaitement…

Où en sommes-nous de l’encadrement des temps familiaux des salariés du public et du privé ?

 

Les différentes dimensions de la gestion des temps familiaux

On pourrait répartir les dispositifs de prise en compte des temps familiaux dans 5 grandes catégories :

  • Les congés maternité et paternité et congé d’adoption entourent l’arrivée de l’enfant.
  • Les congés parentaux, à temps plein ou partiel, visent à permettre une présence auprès de l’enfant pendant ses 3 premières années.
  • Certaines nécessités annexes à la maternité et à la parentalité prennent en charge certaines situations (congés allaitement, journées enfant malade, horaires aménagés…).
  • D’autres dispositifs, comme le congé de proche aidant, ont pour objectif la prise en charge des personnes dépendantes (parent âgé, enfant malade ou handicapé…).
  • Enfin, on pourrait considérer une catégorie hétéroclite de dispositifs visant à réduire les conséquences des congés familiaux sur la carrière : maintien de l’avancement, suivi RH, maintien des droits à la retraite.

Nous évoquerons surtout ici les deux premières catégories, et retiendrons seulement les dernières nouveautés concernant les autres.

Congé maternité et congé parental visent en pratique des objectifs très proches. Les deux dispositifs s’articulent souvent dans les projets des salariées et fonctionnaires : il n’est pas rare d’ajouter quelques mois de congé parental au congé maternité pour accompagner les premiers temps de l’enfant, et les deux s’enchaînent presque sans solution de continuité. Pourtant, il s’agit de deux congés aux origines très différentes, et appartenant à deux sphères institutionnelles distinctes – celle de l’assurance maladie pour la maternité, celle des allocations familiales pour le congé parental. Nous les aborderons donc successivement.

On retrouve dans les deux cas une même ambiguïté et une même distinction :

  • Ambiguïté entre la volonté originelle de permettre aux femmes de garder leur emploi et celle de leur permettre, au contraire, de rester au foyer ;
  • Distinction entre le droit de s’absenter et l’indemnisation, qui ne vont pas toujours de pair.

Les deux dispositifs ont des histoires bien différentes.

 

Le congé maternité : 2 histoires parallèles…

« Il est désirable que les femmes accouchées ne soient admises au travail que quatre semaines après leur accouchement », peut-on lire dans le texte adopté en 1890 par les pays participant à la Conférence internationale concernant le règlement du travail, tenue à Berlin. Il faudra 19 ans au législateur français pour traduire cette exigence dans la loi Engerand du 4 novembre 1909, instituant la possibilité d’arrêter le travail pendant 8 semaines, à répartir avant et après l’accouchement, avec garantie de retrouver son emploi – mais pas d’indemnité. La loi Strauss du 17 juin 1913 rend obligatoire le repos de 4 semaines après la naissance (mais pas le congé prénatal), assorti d’une allocation : pour la première fois, les salariées du privé disposaient d’un congé maternité obligatoire et partiellement indemnisé.

Pour la plupart de ses agentes, l’Etat avait pris les devants : dès 1903, les agentes des PTT pouvaient demander un congé maternité de 25 jours avec maintien du traitement. Et la loi du 15 mars 1910 accordait un congé d’un mois avant et un mois après l’accouchement aux institutrices, là encore avec maintien du traitement. La protection sociale des fonctionnaires prenait d’autant plus d’avance que la guerre a partiellement vidé les lois de 1909 et 1913 de leur substance. Dans le privé, il faudra attendre la loi du 5 avril 1928 sur les assurances sociales pour que le congé maternité soit véritablement institué et pérennisé : 12 semaines – 6 semaines avant, 6 semaines après l’accouchement – assorties d’une indemnisation égale à la moitié du salaire (porté à 60% pour les salaires les plus bas). Les frais médicaux sont pris en charge forfaitairement pendant la grossesse et jusqu’à 6 mois après, une prime d’allaitement est créée, ainsi que le principe d’un congé pathologique supplémentaire de 3 semaines.

Cette même année 1928, semble-t-il (nous n’avons pas réussi à retrouver le texte), le congé de 8 semaines avec maintien du traitement établi pour les institutrices en 1910 est étendu à l’ensemble des agentes de la fonction publique. Avant-guerre, les salariées du privé disposent donc d’un congé maternité plus long que leurs homologues du public, mais avec une indemnité plus réduite.

 

…qui se rejoignent et se confondent

Les bases de la législation sur la maternité ne changeront guère par la suite : seuls les paramètres bougent. Dans le privé, la durée du congé maternité passe à 14 semaines en 1946, puis à 16 semaines en 1978. L’indemnisation passe de 50% à 90% du salaire en 1970 par protocole d’accord étendu entre le patronat et les syndicats. En 1980, la loi du 17 juillet allonge le congé maternité à 26 semaines à partir du 3e enfant.

Entre-temps, la durée du congé maternité dans la fonction publique avait été alignée sur celle du privé en 1976, toujours avec maintien du traitement. Pour l’essentiel, ces paramètres n’ont pas évolué, mis à part le mode de calcul des indemnités journalières de maternité dans le secteur privé. Celles-ci demeurent inférieures à 100% du salaire, sauf convention collective plus favorable – ce qui est très souvent le cas.

En matière de durée comme d’indemnisation du congé maternité, les salariés et les fonctionnaires sont donc logés à peu près à la même enseigne depuis plus de 40 ans. Il reste cependant des différences de détail, que nous verrons plus bas.

 

Les congés parentaux : du salaire maternel…

Le congé parental est l’héritier de débats et de réalisations des années 30, dans le cadre d’une triple préoccupation sociale, morale et nataliste. Un décret-loi du 12 novembre 1938 crée ainsi le principe d’une majoration de 5% des allocations familiales pour les couples de salariés lorsque la femme ne travaille pas. Le 29 juillet 1939, un autre décret-loi crée le code de la Famille et institue l’Allocation de mère au foyer (AMF), portée à 10%. Vichy la transforme en Allocation de salaire unique (ASU), pérennisée à la Libération. L’ASU représente 20% du salaire moyen de base. Elle reste en vigueur jusqu’à une loi du 12 juillet 1977, date à laquelle le paysage change entièrement.

L’ASU cède alors la place au complément familial, prestation sous condition de ressources pour les familles de 3 enfants et plus ou celles ayant un enfant de moins de 3 ans. Surtout, une loi du même jour crée le Congé parental d’éducation pour les mères, d’une durée maximale de 2 ans, portée à 3 ans et ouvert aux pères par la loi du 4 janvier 1984. Celle-ci crée également la possibilité d’un congé parental à temps partiel. Aucune indemnisation n’est prévue dans un premier temps, jusqu’à la loi du 4 janvier 1985 qui crée l’allocation parentale d’éducation (APE), à partir du 3e enfant.

Le statut des fonctionnaires créé par les lois de 1984-86 institue un congé parental analogue dans la fonction publique. Les fonctionnaires ont également accès à l’APE.

En 1994, l’APE est attribuée dès le 2e enfant. Ce changement a été d’ailleurs très étudié à l’époque par les spécialistes des politiques publiques, et en particulier par un certain Thomas Piketty. Son impact sur l’activité des femmes concernées (celles qui avaient au moins 2 enfants dont un de moins de 3 ans) a été considérable et fulgurant : leur taux d’activité est revenu en moins de 3 ans au niveau du début des années 1980.

 

…au libre choix d’activité

Par la suite, les noms changent mais les principes restent les mêmes, dans le privé comme dans le public. La durée et les conditions du congé parental ont peu évolué, si ce n’est dans le sens d’une universalisation du droit pour les salariés : au départ, seuls les salariés des entreprises de plus de 200, puis de 100 salariés pouvaient en bénéficier. Depuis 2004, l’ensemble des prestations entourant la naissance est réuni sous le sigle « Paje », ou prestation d’accueil du jeune enfant, qui comprend depuis 2014 la prime de naissance ou d’adoption, l’allocation de base, la prestation partagée d’éducation de l’enfant (PréParE, anciennement CLCA, complément de libre choix d’activité) et le complément de libre choix du mode de garde.

La PréParE correspond à l’ancienne APE. Elle est versée dès le 1er enfant à raison de 6 mois par parent (au plus tard jusqu’au premier anniversaire de l’enfant), puis à partir du 2e pour 24 mois par parent, dans la limite du 3e anniversaire de l’enfant. Son montant est cependant faible : un peu moins de 400€ pour un congé à temps plein.

 

Les droits des pères

Le partage de la PréParE entre père et mère traduit une évolution récente et significative : celle des droits des pères. Dès 1984, le congé parental d’éducation est conçu comme accessible au père comme à la mère, dans les mêmes conditions. En pratique, cependant, 97% des bénéficiaires sont des femmes. La loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les hommes et les femmes conçoit la PréParE comme un outil d’égalitarisation des rôles parentaux. En effet, pour pouvoir bénéficier de l’intégralité des droits (1 an pour le 1er, 3 ans pour les suivants), il est indispensable de se partager le congé parental.

Un tout récent rapport de l’OFCE révèle que cet objectif n’a pas été atteint : non seulement la réforme de 2014 n’a pas enrayé la tendance à la baisse globale du recours à cette prestation ; mais elle n’a que très marginalement augmenté la proportion de pères bénéficiaires (toujours moins de 1% pour le taux plein, et 1,8% pour le taux partiel). Les promoteurs de la loi attendaient un taux de recours de 25%. Il n’y a pas d’analyse par secteur, on ignore donc s’il y a des différences entre public et privé.

Autre modification des droits des pères, mieux appliquée : la création en 2002 d’un congé de paternité de 11 jours (en plus des 3 jours prévus pour la naissance), qui s’apprête à être porté à 25 jours au 1er juillet, dans le secteur public comme dans le secteur privé. A la différence du congé parental, le congé paternité a été largement adopté, si l’on en croit les chiffres de la Drees, chiffres un peu anciens (étude de 2016, chiffres 2013) : 8 salariés du privé en CDI sur 10 y ont eu recours, et 9 fonctionnaires sur 10. Les indépendants et les contrats précaires font retomber la moyenne générale à 7 sur 10.

 

Quelles différences persistent entre privé et public ?

Pour l’essentiel, les dispositifs de prise en compte des temps parentaux ont donc largement convergé entre privé et public, souvent depuis longtemps. Les différences qui demeurent relèvent surtout de la gestion RH.

La demande de congé maternité

Les modalités d’information de l’employeur diffèrent entre public et privé.

  • Dans le public, l’agente doit déposer sa demande de congé maternité avant la 14e semaine de grossesse à sa DRH et à la Caisse d’allocation familiale. La déclaration se fait par le biais d’un formulaire spécifique, et peut être simplement remise au service concerné.
  • Dans le privé et pour les contractuelles du public, la salariée n’est soumise à aucun délai pour annoncer sa maternité, si ce n’est que l’employeur doit être informé avant le congé, bien sûr. L’information doit se faire par lettre recommandée avec accusé de réception. C’est l’annonce de la grossesse qui déclenche l’accès à la protection contre le licenciement et aux autorisations d’absence pour examens médicaux.

Les autorisations d’absence

  • Dans le privé, la salariée et la personne avec qui elle est en couple peuvent s’absenter sans retenue de salaire pour les 7 examens obligatoires de grossesse. Une salariée qui allaite peut disposer pendant la première année de l’enfant d’une heure par jour, répartie en deux fois 30 minutes (ou 20 minutes si l’entreprise a un local dédié). Cette heure n’est en théorie pas rémunérée, même si le point est débattu.
  • Les fonctionnaires ont des autorisations d’absence supplémentaires, même si celles-ci sont possibles sous réserve des nécessités du service. Outre les 7 examens obligatoires, elles peuvent s’absenter jusqu’à une heure par jour à partir du 3e mois de grossesse et assister aux séances de préparation à l’accouchement si elles ne peuvent pas avoir lieu en dehors des horaires de travail. Pour ce qui est de l’allaitement, aucun texte ne prévoyait de temps spécifique jusqu’à la loi de transformation de la fonction publique, dont l’article 46 prévoit une heure par jour pendant un an. Un décret est attendu ; reprendra-t-il les prescriptions du privé ou en profitera-t-on pour moderniser ce droit ?

Les fonctionnaires sont donc mieux accompagnées que les salariées pendant la grossesse. Jusqu’à présent, elles avaient moins de droit en matière d’allaitement, mais l’alignement est pour bientôt.

La rémunération

  • Les salariées du privé et contractuelles de droit public bénéficient des indemnités journalières de la Sécurité sociale, qui sont calculées sur la base du salaire brut et limitées au plafond de la Sécurité sociale. En pratique, elles couvrent environ 90% du salaire net, sauf pour les rémunérations les plus élevées, où le taux de remplacement est plus faible. Les conventions collectives prévoient souvent un complément de l’employeur pour maintenir le niveau de salaire, mais ce n’est pas obligatoire.
  • Les fonctionnaires bénéficient d’un maintien de leur traitement, y compris éventuellement le supplément familial et la nouvelle bonification indiciaire. La plupart des primes sont généralement maintenues, avec des nuances selon les fonctions publiques.

Là encore, les fonctionnaires sont à ce jour mieux lotis que les salariées. Mais les systèmes de rémunération sont si différents qu’une convergence totale paraît de toute façon difficile.

Le congé parental

La législation sur le congé parental est sensiblement la même dans le privé et le public, mais de petites différences persistent.

  • La durée est la même (3 ans maximum), mais dans la fonction publique elle se conçoit par périodes de 2 à 6 mois renouvelables (6 mois pour les contractuels).
  • La demande se fait par courrier simple dans la fonction publique, avec un préavis obligatoire de 2 mois. Dans le privé, une remise en main propre contre récépissé ou un envoi en recommandé avec AR est nécessaire. Le délai de 2 mois est aussi de rigueur, sauf si le congé enchaîne sur un congé maternité, auquel cas un mois suffit.
  • La situation au regard de la carrière, qui était comparable entre public et privé avant la loi de transformation de la fonction publique, s’est modifiée du côté des fonctionnaires.
    • Pour les salariés, la période de congé ne compte que pour moitié pour le calcul de l’ancienneté.
    • Pour les fonctionnaires, elle compte intégralement dans la limite de 5 années.
    • Les contractuels conservent le régime dont disposaient les fonctionnaires auparavant : ancienneté intégrale la première année, la moitié les années suivantes.

 

Les autres dispositifs

En matière d’organisation des temps familiaux, d’autres différences notables demeurent entre public et privé.

  • Les autorisations d’absence pour enfants malade sont plus avantageuses dans le public que dans le privé.
    • Les salariés du privé ne disposent que de 3 jours sans solde, qu’ils ne peuvent pas fractionner en demi-journées, sauf accord de l’employeur ou convention collective plus avantageuse.
    • Les fonctionnaires ont droit à 12 jours par couple (pour des fonctionnaires à temps plein), fractionnables en demi-journées et rémunérés.

Il y a peu de chances que se produise une convergence à court terme sur ce point : les avantages des fonctionnaires ne seront pas revus à la baisse, et l’alignement à la hausse du privé n’est pas à l’ordre du jour.

  • Le congé de proche aidant a été aligné en tous points entre public et privé par la loi de transformation de la Fonction publique et le décret du 8 décembre 2020.
  • Les droits à la retraite liés aux périodes de congé maternité et parental restent différents, du fait de la différence des régimes.
    • Le régime général attribue 8 trimestres de majoration au couple parental (dont 4 réservés à la mère). Le régime des fonctionnaires n’en confère que deux, réservés aux femmes qui s’arrêtent moins de 6 mois.
    • Le régime général comme les régimes des fonctionnaires prennent en compte les trimestres de congé maternité. Celui des salariés prend en compte en outre les IJSS majorées de 25% pour le calcul du salaire annuel moyen, mais cette précision n’a pas d’équivalent possible dans la fonction publique.
    • Les trimestres de congé parental sont validés pour la retraite dans les deux régimes. Ils ne sont pas cumulables avec les majorations de trimestres.

La convergence entre public et privé en matière de congés familiaux est donc ancienne. A bien des égards, elle est déjà allée presque aussi loin qu’il est possible d’aller. Les distinctions qui demeurent entre les deux secteurs naissent de leur histoire juridique, de leurs particularités techniques et administratives, mais aussi de la différence des deux statuts au regard de l’emploi : sécurité de l’emploi d’un côté, risque de licenciement de l’autre. Dans le privé, la loi vise à protéger les salariées d’un licenciement abusif et/ou d’un impact discriminatoire sur la carrière, tout en préservant la confidentialité des informations personnelles. Dans la fonction publique, la sécurité de l’emploi rend ces préoccupations superflues : on se préoccupe davantage d’efficacité administrative.

Avec les années, la tâche des DRH du public tend donc à se simplifier de ce point de vue ; mais il demeurera encore longtemps des subtilités de traitement entre titulaires et contractuels.

Véronique Tixier
Responsable Veille Légale Secteur Public chez Sopra HR Software
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