CONFORMITÉ RH

Rapport social unique, base de données sociales : quel est l’objectif ?

DeVéronique Tixier
15 octobre 2021

La décennie 2015-2025 restera sans doute dans l’histoire de l’administration française comme une période décisive en matière de transformation RH. Deux forces se conjuguent pour produire cette évolution. La première est la volonté politique de rationalisation, qui se traduit notamment par un rapprochement technique du public et du privé en matière de gestion RH : contrats, télétravail, droits sociaux… La deuxième force est la digitalisation, qui rend possible la centralisation, l’accélération de la circulation et l’exploitation des données dans des proportions autrefois impensables.

L’alliance de ces deux tendances se retrouve à nouveau dans un autre processus en cours : la mise en place du rapport social unique (RSU) et de la base de données sociales (BDS). La ressemblance avec le privé, cependant, se limite ici essentiellement aux modalités techniques : le public conserve, en la matière, sa logique propre. Pourquoi un rapport social unique et une base de données sociales ? Quels sont les domaines concernés ? Nous revenons sur ce chantier essentiel de l’année à venir en matière de RH publiques.

 

RSU et BDS : de quoi s’agit-il ?

La loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019 continue à dérouler ses effets : 2021 et 2022 sont ainsi des années de transition dans la mise en place de la nouvelle organisation de la gestion RH des employeurs publics.

  • Au 31 décembre 2022, toutes les administrations devront ainsi avoir mis en place une base de données sociales dématérialisée, contenant une longue liste d’informations couvrant l’ensemble du domaine RH.
  • Dès 2021, cependant, les administrations doivent produire chaque année un rapport social unique (RSU), qui remplace les précédents bilans sociaux. À partir de 2024, pour la réalisation du RSU 2023, ce rapport social s’appuiera sur la base de données obligatoire. En attendant, il sera réalisé « à partir des données disponibles », sur l’année 2020 pour le RSU à produire en 2021, sur 2021 pour le RSU produit en 2022, sur 2022 pour le RSU produit en 2023.

    Il est intéressant de noter que le RSU et la BDS n’étaient pas présents dans le projet de loi initial, ni dans les rapports qui l’ont précédé. C’est un amendement de la majorité, déposé par la rapporteure Emilie Chalas au cours de la première lecture à l’Assemblée nationale, qui a créé ces deux dispositifs.

    D’un point de vue juridique, le RSU et la BDS découlent de trois niveaux de texte :

  • L’article 5 de la loi de transformation de la fonction publique modifie la loi du 13 juillet 1983 (statut de la fonction publique) en créant deux nouveaux articles 9 bis A et 9 bis B. Le I de l’article 9 bis A liste les domaines abordés dans le rapport social unique ; le II précise que les données du RSU « sont renseignées dans une base de données sociales accessible aux membres des comités sociaux » (comités créés par la même loi de transformation de la fonction publique).
  • Un décret du 30 novembre 2020 précise les informations à intégrer à la base de données sociales et détaille les modalités du rapport social unique.
  • Trois arrêtés doivent décrire les modalités d’application dans chacune des trois fonctions publiques, en listant les indicateurs à renseigner dans la base de données. Pour le moment, seul l’arrêté du 7 mai 2021 relatif à la fonction publique d’État est paru.

Ces trois niveaux de textes juridiques nous donnent donc :

  • les grands domaines à couvrir, dans la loi ;
  • les informations détaillées à renseigner, dans le décret ;
  • les indicateurs précis, dans l’arrêté.

Quelle « convergence » pour le dialogue social ?

La façon dont sont conçues et organisées les relations entre employeurs et agents publics a considérablement évolué au cours des 15 dernières années. Les partenaires sociaux et le législateur ont amené une forme de convergence vers les modalités d’organisation RH du privé, tout en conservant les spécificités du public. Les enjeux et les étapes de cette transformation puisent leur origine dans le passé des mouvements sociaux.

  • Dans le privé, le dialogue social dans l’entreprise se structure autour des délégués du personnel (accords de Matignon, 1936), porteurs des revendications, et du Comité d’entreprise (loi du 16 mai 1946), lieu de « coopération ». Ce dernier est certes présidé par l’employeur ou son représentant, mais il n’est composé que de représentants des salariés.
  • Dans le public, l’organisation qui se met en place à la Libération ne compte pas de délégués du personnel (sauf pour les non-titulaires), et la concertation avec les agents est répartie entre deux instances paritaires créées par la loi du 19 octobre 1946, la commission administrative paritaire et le comité technique paritaire. Dans chacune de ces commissions, les représentants des agents sont aussi nombreux que ceux de l’administration, et la présidence reste au dirigeant de cette dernière, dont le vote emporte ainsi la décision.

En somme, agissant dans l’intérêt collectif et sans but lucratif, l’administration échappait à la logique de la lutte des classes. C’est ainsi que d’une certaine façon, même si la comparaison peut paraître un peu osée, le public a pérennisé l’approche « mixte » du patronat paternaliste : l’employeur décide, en consultant les agents mais sans négocier.

Au fil des années, les comités techniques ont progressivement échappé au paritarisme. Dans la fonction publique hospitalière, les comités techniques d’établissement ont ainsi remplacé les CTP, en 1991 dans les établissements de santé, puis en 2002 dans les établissements sociaux et médico-sociaux. C’est ensuite la loi du 5 juillet 2010 sur la rénovation du dialogue social dans la fonction publique qui généralise la suppression du paritarisme dans les comités techniques des trois fonctions publiques. La loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019 parachève la convergence formelle avec le comité d’entreprise en fusionnant les CT et les CHSCT dans les Comités sociaux, pendant public du Comité social et économique (CSE) créé par les ordonnances travail de septembre 2017. Parallèlement, la loi de 2010 et celle de 2019 entreprennent d’introduire un début de dialogue social contractuel dans la fonction publique.

 

BDES, BDS, même combat ?

Ce long détour par l’histoire de la représentation des salariés et des fonctionnaires se justifie par le rôle que joue la base de données sociales dans le processus de concertation entre employeurs et agents/collaborateurs. Dans ce domaine, comme dans celui de la négociation sociale, la convergence a ses limites.

Officiellement, des vocations différentes

La loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 a créé la base de données économique et sociale (BDES), suite à l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013. La finalité de  la BDES, dans l’ANI, est d’abord l’information des institutions représentatives du personnel (IRP), afin de leur permettre d’émettre un avis informé sur la politique économique et sociale de l’entreprise.

La base de données sociales (BDS) créée par la loi de transformation de la fonction publique de 2019 ressemble beaucoup à la BDES. Comme elle, elle est accessible aux représentants du personnel, en l’occurrence les comités sociaux (ou comités techniques avant la mise en place des CS). Elle présente cependant deux différences majeures avec la BDES :

  • Première différence : l’absence du « E » d’ « économique ». La BDS ne porte évidemment pas sur l’aspect économique. Dans le privé, le comité d’entreprise est destinataire depuis sa création d’informations sur la santé économique de l’entreprise. Il n’en va pas de même des fonctionnaires : ceux-ci ne sont en rien associés à la gestion de leurs établissements et administrations, qui n’ont pas de vocation économique.  
  • Seconde différence : là où la BDES a été conçue d’abord et avant tout comme un outil d’information des salariés, la BDS est d’abord présentée comme un outil de gestion RH au service des employeurs publics.

    Les trois objectifs de la BDS, tels que détaillés dans l’exposé de l’amendement qui la crée, sont en effet 1) « l’identification des enjeux stratégiques à court terme pour chaque entité », 2) « l’efficience du pilotage des lignes directrices de gestion et des politiques de ressources humaines à plus long terme » et seulement en 3) « la transparence de la gestion des ressources humaines attendue de l’ensemble des acteurs du dialogue social ». Dans ce cadre, la base « pourra être employée, sous certaines conditions, par les représentants des personnels ».

    La BDS est donc amenée par les auteurs de la loi avant tout comme un outil de gestion. Elle contient les données issues du rapport social unique, lui-même utilisé pour à établir les lignes directrices de gestion (LDG) créées par la même loi. L’information des agents apparaît en fin de circuit, presque comme un effet collatéral. 

    Des structures similaires

    Pourtant, la BDS reprend bel et bien une bonne partie du contenu de la BDES, adapté aux spécificités des RH dans la fonction publique. On retrouve ainsi, dans les deux bases, sous des dénominations différentes et dans un ordre différent :

  • Les effectifs de l’organisation et leurs caractéristiques ;
  • L’évolution des emplois (recrutements, départs, mutations,  promotions…) ;
  • La politique de formation ;
  • Les rémunérations (et notamment la somme des 10 premières rémunérations dans les grandes organisations/administrations) ;
  • La santé au travail et les conditions de travail ;
  • L’égalité femmes-hommes ;
  • Les politiques relatives au handicap, à la discrimination, à la diversité ;

L’action sociale et le dialogue social.

Techniquement, la BDS se présente donc bien comme une BDES sans le « E », même si sa finalité est différente.

 

A quoi sert le rapport social unique ?

Le rapport social unique, lui aussi, est présenté avant tout comme un outil de gestion. Il constitue « le premier support de réflexion pour établir les lignes directrices de gestion qui détermineront à terme la stratégie pluriannuelle des ressources humaines », précise l’exposé de l’amendement.

Au cours du bref débat autour de l’amendement, un député s’est inquiété du poids supplémentaire que pourrait représenter le RSU pour les administrations. La réponse de la rapporteure était sans ambigüité : « L’objectif du rapport social unique est précisément d’être unique et de venir se substituer à l’ensemble des rapports dont l’élaboration pèse aujourd’hui sur les administrations, de façon à simplifier les démarches des services de ressources humaines. »

Le RSU remplace ainsi, selon le rapport de la commission des lois du Sénat intervenu lors la 1re lecture au Sénat :

  • Le bilan social annuel, créé dans son principe par la loi du 12 juillet 1977 pour les entreprises de plus de 300 salariés, mais étendu aux administrations, établissements publics et collectivités territoriales dans son article 4.
  • Le rapport annuel de situation comparée entre les hommes et les femmes, créé dans les 3 fonctions publiques par l’article 51 de la loi Sauvadet du 12 mars 2012 ;
  • Le rapport annuel sur les fonctionnaires mis à disposition, instauré, là encore, dans les 3 fonctions publiques par la loi de modernisation de la fonction publique du 2 février 2007 (articles 10, 14 et 15) ;
  • Le rapport annuel sur l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés créé par la loi du 10 juillet 1987 en faveur de l’emploi des travailleurs handicapés et s’appliquant, là encore, dans les trois fonctions publiques.

Il s’agit donc bien de rationnaliser et de centraliser l’ensemble des données utiles à la gestion des ressources humaines dans les administrations.

Si les trois derniers rapports sont communs aux 3 fonctions publiques depuis leur création, le bilan social lui-même suivait des règles un peu différentes suivant les branches :

Dans la fonction publique d’État, le RSU prend donc la suite du bilan social annuel formalisé par un décret du 15 février 2011.

Dans la fonction publique territoriale, le RSU remplace le rapport sur l’état de la collectivité (REC), créé par une loi du 27 septembre 1994. Le REC n’était légalement obligatoire que tous les deux ans : le RSU étant annuel, c’est un changement significatif pour les collectivités. Les sénateurs ont vainement tenté de maintenir le rythme biennal, sans succès.

Dans la fonction publique hospitalière, le RSU prend la suite du bilan social annuel institué par décret du 7 octobre 1988, et dont le contenu avait été largement précisé et harmonisé par arrêté du 5 décembre 2012.

Dans les trois cas, l’ancien bilan est donc augmenté du contenu des trois autres rapports annuels thématiques existants. A l’arrivée, le RSU doit couvrir, « à partir des données contenues dans la base » de données sociales, les grands domaines suivants :

 

« 1° Les caractéristiques des emplois et la situation des agents relevant du comité social ainsi que, le cas échéant, de ceux qui ne sont pas électeurs de ce comité ;

2° La situation comparée des femmes et des hommes et son évolution ;

3° La mise en œuvre des mesures relatives à la diversité, à la lutte contre les discriminations et à l'insertion professionnelle, notamment en ce qui concerne les personnes en situation de handicap. »

 

En guise de conclusion : une convergence uniquement technique ?

La rapporteure de l’amendement qui a créé la BDS et le RSU, Emilie Chalas, a pris la peine de préciser que la base de données sociales ne visait en aucun cas à « dupliquer la ‘base de données économiques et sociales’ instaurée dans le secteur privé ». De même, elle a pris soin de présenter le rapport social unique d’abord comme un outil de gestion.

Les sénateurs, de leur côté, prennent moins de pincettes dans le rapport qu’ils ont rendu sur la loi de transformation de la fonction publique au moment de sa lecture au Sénat. Le RSU y est d’abord présenté comme la continuité du bilan social annuel, outil privé/public. Pour ce qui est de la BDS, les sénateurs la présentent d’emblée comme inspirée « de l'article L. 2312-36 du code du travail, qui a créé la base de données économiques et sociales (BDES) ».

On remarque par ailleurs que le RSU, dont les informations alimentent la BDS, doivent contenir sur chaque entrée les données concernant l’année en cours, les deux années précédentes et les 3 suivantes, sous forme de perspectives. Or, il en va exactement de même pour la BDES.

Cette continuité conceptuelle ne vise pas pour autant à plaquer des notions venues du privé sur les réalités du public. Les sénateurs rappellent ainsi que « Selon la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP), certains employeurs publics disposent déjà de bases de données pour le pilotage de leurs finances et des ressources humaines. La mise en place de bases de données sociales consisterait alors à structurer l'existant. La DGAFP a par ailleurs assuré que le format et les règles d'interopérabilité de cette base ne seraient pas imposés, ce qui permettrait aux employeurs de continuer à utiliser leur système maison ou, pour les employeurs territoriaux, celui qui leur a été récemment mis à disposition par leur centre de gestion. » Ces promesses seront-elles durablement tenues ? Seul l’avenir le dira.

 

Rapport social unique, lignes directrices de gestion et base de données sociales constituent ainsi trois piliers d’un même processus : la « standardisation » de la gestion des ressources humaines dans la fonction publique, au service d’une meilleure planification stratégique des RH. Dans le même temps, il s’agit de donner aux représentants du personnel leur place dans la concertation autour des enjeux RH qui les concernent. Si les noms et les véhicules se ressemblent, et si « l’expérience agent » tend à se rapprocher de « l’expérience collaborateur » en la matière, les modalités de gestion RH et d’association des représentants du personnel propres au public vont pouvoir continuer à se réinventer suivant leur logique propre, au sein des trois fonctions publiques. Et les responsables RH des employeurs publics en seront les premiers artisans.

Véronique Tixier
Responsable Veille Légale Secteur Public chez Sopra HR Software
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